Un cap vient d’être franchi dans la lutte contre la spoliation immobilière. Le législateur marocain vient de compromettre l’un des instruments favoris de la mafia immobilière : les procurations. Lundi, la commission de justice, de législation et des droits de l'homme à la Chambre des représentants a adopté le projet de loi n°69.19 complétant l’article 4 de la loi 39.08 portant Code des droits réels. Un texte qui vise à enrayer la spoliation immobilière en soumettant les procurations à la même procédure que les actes transférant la propriété ou créant, transférant, modifiant ou annulant d’autres droits réels.
Les procurations doivent désormais «être établies, sous peine de nullité, par acte authentique ou acte à date certaine, dressé par un avocat agréé près la Cour de cassation, sauf si une loi spécifique stipule le contraire», énonce le nouveau texte, cité par l’agence MAP.
Pour le ministre de la Justice, cette disposition législative s’inscrit dans le cadre des orientations royales pour la mobilisation et la lutte contre le phénomène de spoliation des biens d’autrui. Mohamed Aujjar, cité par l’agence officielle, souligne que l’adoption du projet de loi intervient pour lutter contre les pratiques frauduleuses qui entachent certains actes de procuration concernant les opérations de transfert de propriété ou de création, de transfert, de modification ou de suppression d’autres droits réels.
«Annuler les procurations faites devant des personnes non habilitées»
Cette mesure à elle-seule suffira-t-elle ? C’est la question que nous avons posée à Massaoud Leghlimi, avocat au barreau de Casablanca, chargé de la défense de plusieurs victimes de spoliation immobilière. «Cet amendement intervient suite aux plaintes déposées par les victimes après que leurs biens ont été spoliés. C’est bien connu : les malfaiteurs et les faussaires avaient recours aux procurations. C’était carrément une pratique», lance-t-il.
Massaoud Leghlimi raconte : «Ces procurations se faisaient sous forme de papiers imprimés dont on ne connaît pas l'origine. On ne peut donc pas vérifier leur authenticité. On ne savait pas si elles étaient faites au Maroc ou à l’étranger. Forcément, ça posait problème.» Quant à l’amendement, l’avocat juge qu’il est «important».
«C’est un amendement important qui va annuler les procurations faites devant des fonctionnaires ou des institutions non habilités à le faire, et limiter la rédaction de ces procurations, qui doivent désormais être réalisées soit devant le notaire, les adouls, ou bien devant un avocat agréé près la Cour de cassation. On élimine donc toutes les procurations établies ici ou à l’étranger.»
L’amendement de l’article 2 de la loi 39.08 en cours
Evoquant les avantages du nouveau projet de loi, il estime qu’«il y a déjà une limitation de l’usage des procurations pour transférer malhonnêtement des biens à des faussaires, des malfaiteurs et des arnaqueurs». «C’est donc un pas très important», poursuit-il, reconnaissait toutefois qu’il reste insuffisant.
«Ce n’est pas suffisant. Ce n’est que l’une des mesures à faire pour que la loi protège la propriété des biens. Il faut que les tribunaux accordent la propriété aux véritables propriétaires, non pas aux acquéreurs de bonne foi. Certains jugements ont privilégié la notion de bonne foi; ils ne sont donc pas à la hauteur pour protéger les propriétés.»
L’avocat casablancais fait référence à l’article 2 de la loi 39.08, que plusieurs victimes surnomment «l’article spoliateur». Ce texte stipule que si le titulaire d’un titre foncier perd son bien suite à une «falsification ou faux et usage de faux», il ne dispose que de quatre ans à compter de la date d’immatriculation faite par le nouveau prétendu propriétaire pour porter plainte en vue de réclamer son droit.
«Jusqu’à maintenant, nous attendons tous que l’article 2 de la loi 39.08 soit amendé et refait de façon à permettre de protéger les propriétés», insiste Me Leghlimi. «Le ministre et la commission chargés des dossiers de spoliation disent que c’est en cours, mais on ne sait pas quand et comment. En attendant, la société civile et les représentants des victimes ne sont au courant de rien, officiellement parlant», lâche-t-il.
Quant à la situation dans les tribunaux, après la lettre adressée au ministre de la Justice en décembre 2016, Massaoud Leghlimi rapporte que «sur le terrain, il n’y a que du renvoi». «Aujourd’hui même, j’ai un dossier de spoliation devant la cour d’appel de Casablanca. Les audiences ont commencé en 2013 et nous sommes en 2017. Cela n’a toujours pas abouti. D’autres audiences se sont tenues la semaine dernière, mais il n’y a eu que des renvois», regrette-t-il.
L’avocat casablancais de conclure : «Les victimes attendent (…) On ne sait pas quand elles regagneront leurs demeures.»