Des sources médiatiques affirment que Mohamed Hassad a pris la décision d’annuler la circulaire empêchant les professeurs du secteur public à enseigner dans le privé. Qu’en pensez-vous de cette décision ?
Ce dossier est en rapport avec l’enseignement privé dans notre pays et je considère que l’Etat se dirige vers l’achèvement de l’école publique et la privatisation de l’enseignement, du maternel au supérieur. Nous savons déjà que nous ne disposons pas d’un enseignement préscolaire public. Il est très faible et même le ministre de l’Education nationale l’a reconnu. Moi je dis que cet enseignement, de 3 à 6 ans, n’existe pas. Ce qu’on retrouve, c’est des associations de jeunes, d’hommes et de femmes qui se rendent dans un établissement public, demandent une salle, ramène des enfants et trouvent des personnes disposant d’une licence pour donner des cours. Cela se fait avec des salaires de 500 ou même 1 000 dirhams par mois. C’est ça notre enseignement préscolaire public.
Pour le primaire, l’enseignement public est toujours présent même si le secteur privé commence à gagner du terrain. C’est le même cas pour l’enseignement collégial. Quant aux lycées, le privé est moins important actuellement. Mais on se dirige avec la loi cadre pour la réforme de l’éducation, éditée par le gouvernement Benkirane et approuvée par le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique, vers l’achèvement de la gratuité dans l’enseignement supérieur et dans l’enseignement secondaire qualifiant.
Il faut reconnaître qu’il n’y pas à la base de gratuité dans l’enseignement au Maroc vu les dépenses des familles marocaines notamment quant aux fournitures scolaires. Jusqu’actuellement, cette information ne nous a pas été communiquée par des sources officielles, donc on attend la réaction du ministre Mohamed Hassad.
Cela veut-il dire que l’enseignement privé se porte plutôt bien par rapport au secteur public puisque vous dites que le premier gagne du terrain ?
L’enseignement privé a des problèmes quant aux ressources humaines. Déjà, ses salariés souffrent et la plupart des entreprises n’appliquent même pas la loi du travail. Le ministre Rachid Belmokhtar nous avait convoqué pour nous annoncer l’embauche de plusieurs cadres avec des CDD. Une mesure que nous refusons puisqu’elle porte atteinte au droit à un travail stable et permanent et qui contribue à la vulnérabilité du secteur de l’Education nationale. Nous n’avons pas accepté cette mesure et nous ne l’accepterons pas.
Lorsque 11 000 personnes ont été embauchées par le ministère, 2 000 d'entre eux avaient fui l’enseignement privé pour accepter de travailler pour l’Etat avec des CDD. Le secteur privé avait alors exprimé son mécontentement sans évoquer les conditions déplorables dans lesquelles évoluaient ces personnes. Lorsqu’on constate que le Smig n’est pas respecté, que les heures de travail ne sont pas respectées et qu’on travaille sans sécurité sociale, c’est tout à fait normal de fuir.
Dans le secteur public, ces cadres bénéficient, même avec un CDD, de la retraite, de la sécurité sociale et d’autres avantages. Moi je dis que le secteur privé ne doit pas se plaindre, mais plutôt assurer à ses employés les conditions nécessaires et se soucier de leurs conditions au lieu de privilégier le gain rapide et facile.
Mais comment est-on arrivé à cette situation ?
Il y avait un programme gouvernemental de 10 000 cadres, lauréats des Ecoles normales supérieures de l’enseignement. Il faut savoir que ce sont des écoles prestigieuses qui forment des professeurs de qualité et si le ministère de l’Education dispose d’un point positif dans tout le secteur, c’est bien ces écoles, ces centres et ces formations de cadres. Le programme a donc démarré en 2014 et pris fin en 2017 et ces personnes ont été formées par le ministère pour être prises dans le secteur privé. Mais ce dernier ne les a pas embauchées, parce que le secteur privé, comme j’ai dit, a besoin d’une main d’œuvre moins coûteuse qui accepte toutes les conditions sans broncher. A l’époque, l’Etat a promis de former ces gens, en contrepartie d’interdire aux professeurs du secteur public d’enseigner dans le privé. C’était ça le compromis.
Et qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?
Actuellement, nous avons appris que le ministre a tenu une rencontre avec les patrons des écoles privées et tout risque encore de s’empirer puisque l’Etat compte encore embaucher, pour l’année scolaire prochaine, 24 000 enseignants avec des contrats CDD, ce qui risque encore d’accentuer les maux du secteur de l’Education. Nous affirmons notre refus de ce type de contrat mais nous insistons aussi sur le fait que seules les personnes ayant suivi des formations en rapport avec l’enseignement et donc ces 10 000 cadres, doivent être embauchées.
Je ne suis pas surpris de la nouvelle décision prise par Hassad, puisque Rachid Belmokhtar s’était assis avec les partons du secteur privé qui menaçaient de faire grève le 14 mars dernier pour les convaincre d’annuler la grève et leur proposer le dialogue. C’est à ce moment où le secteur public menait sa propre grève alors que personne ne nous a convoqués pour discuter ou nous persuader d’annuler notre sit-in. Cela est tout à fait normal : l’enseignement public est celui des enfants des pauvres et des familles nécessiteuses.
Ce que nous déplorons aussi, c’est le fait que tout change avec l’arrivée d’un nouveau ministre. Il faut cesser de gérer ce secteur d’une façon lunatique. Ce n’est pas sérieux.
Ce dossier a-t-il été abordé lors de la rencontre avec Mohamed Hassad ?
Lors de notre rencontre du 26 avril, nous en tant que FNE, avons abordé ce sujet en affirmant que l’enseignement public ne doit pas dépendre des volontés du secteur privé et que l’Etat ne doit pas encourager ce secteur au détriment de l’école publique. Nous avons aussi rappelé au ministre que dans ce secteur (public, ndlr) des hommes de sécurité et des femmes de ménages, employés du privé et qui passent quatre mois sans salaire. Ce sont des personnes indispensables pour nos écoles publiques et leurs conditions de travail doivent respecter au minimum la loi du travail.
Et quelles sont vos impressions quant au nouveau ministre ?
Il faut reconnaitre que Rachid Belmokhtar, contrairement à Mohamed El Ouafa, ne se souciaient pas de nous en tant que syndicats du secteur. Nous ne l’avons vu qu’à deux reprises et le dialogue était carrément coupé. Actuellement, avec Mohamed Hassad, nous avons été convoqués et le ministre nous a promis de veiller à la préservation et au développement de l’école publique. Il a aussi promis qu’il ne procédera à aucune mesure sans consulter les syndicats du secteur. C’est une bonne chose mais ces dires doivent être appliqués.