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Grand Angle

Affaire Hajar Raïssouni : L’onde de choc a secoué le corps médical

Deux jours après le verdict dans le cadre de l’affaire Hajar Raïssouni, des médecins sont montés au créneau en rappelant le principe du serment d’Hippocrate qui les lie à leurs patients. En effet, ils considèrent que ce procès risque de conduire plus de gynécologues à ne pas prendre en charge les cas de complications d’IVG ou même de simples fausses couches.

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Rassemblement en soutien à Hajar Raissouni, à Rabat, le 9 septembre 2019 / Ph. Fadel Senna - AFP
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Lundi dernier, la journaliste d’Akhbar Al Yaoum, Hajar Raïssouni, a été condamnée à un an de réclusion pour «débauche et avortement illégal», tandis que son médecin, Mohamed Jamal Belkeziz, a écopé de deux ans de prison ferme. Il s’ajoute ainsi aux gynécologues que comptent de plus en plus les prisons marocaines et qui ont tous été reconnus coupables d’avoir procédé à une IVG ou pris en charge une complication dans leur cabinet.

Ainsi, des médecins sont à nouveau montés au créneau se sentant «pris en otage» entre les exigences éthiques du serment d’Hippocrate et les pressions subies par des usages juridiques qui les obligent à enfreindre le secret médical, dénoncer leurs patients ou leur faire subir un examen sous la contrainte.

Professeur de médecine légale à la Faculté de médecine et de pharmacie à Casablanca et chef du service de médecine légale au CHU Ibn Rochd, Hicham Benyaich rappelle le chapitre consacré à la médecine d’expertise dans la loi 131.13 relative à l’exercice de cette profession. Un texte qui «prévoit que le praticien doit se récuser, s’il estime que les questions qui lui sont posées dans le cadre d’une procédure juridique sont étrangères à son rôle, à ses connaissances et à ses compétences ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir à la loi ou à la déontologie», nous explique-t-il.

Et les cas ne manquent pas auprès du Parquet de Casablanca, selon Pr. Benyaich, qui explique à Yabiladi avoir souvent reçu des requêtes «pour vérification aux infractions relatives à la débauche ou à l’adultère». «Nous avons toujours refusé les réquisitions qui nous ont été demandées, sur la base d’une approche légaliste, estimant que dans le Code pénal, la preuve de la réalisation de tels actes ne peut être établie que par le flagrant délit ou par l’aveu», affirme le docteur.

«Il n’a jamais été dit qu’un certificat médical ou la mobilisation d’un praticien pour un examen intrusif pouvait fournir des éléments de preuve pour poursuivre l’intéressé pour débauche, adultère ou relation sexuelle hors mariage, s’il est adulte et consentant de surcroît. De son côté, le Parquet se rend compte que sa réquisition n’est pas opportune.»

Pr. Hicham Benyaich

Médecins et prévenus ont le droit de refuser un examen non-éthique

Pour Hicham Benyaich, «le représentant du Parquet peut se tromper en donnant des instructions susceptibles d’enfreindre la loi pénale et / ou des règles éthiques universelles médicales». «De la même manière, si le procureur demande des informations à un médecin sur son patient, le praticien ne doit pas les communiquer puisqu’elles sont couvertes par le secret médical», soutient encore le professeur universitaire.

Le docteur insiste sur le fait qu’«une réquisition peut pousser le praticien à enfreindre des règles éthiques ou des libertés individuelles, comme dans les cas d’une suspicion de relations sexuelles hors mariage, même consentie». Cette demande est légale en apparence, car elle cherche à établir ou à vérifier une infraction à la loi, mais le médecin n’est pas amené à «servir d’instrument répressif pour l’autorité judiciaire lorsqu’il s’agit de l’intégrité physique et morale d’un patient», précise-t-il.

Le médecin peut cependant s’exposer à des poursuites pour non exécution, sur la base du Code pénal. «Mais l’éthique édicte les normes de conduites supérieures aux normes légales et peut pousser à ne pas se soumettre à une loi jugée régressive ; c’est tout à l’honneur des médecins qui le font», abonde Hicham Benyaich.

Mieux encore, le médecin affirme que «la loi ne peut autoriser à faire violence sur quelqu’un pour lui faire un prélèvement qui porte atteinte à son intégrité physique. Le juge ne peut que prendre acte de ce refus et construire la présomption des chefs d’accusation sur cette base ; mais on ne peut, en aucun cas, obliger une personne à subir un examen médical comme celui du prélèvement».

En effet, la procédure judiciaire visant une personne implique que «son consentement ne se présume pas, il doit être explicite et formalisé par écrit», ce qui ne semble pas avoir été le cas dans le cadre du procès de Hajar Raïssouni, rappelle Dr. Benyaich. «Comment peut-on exiger de la police de faire signer par cette personne les procès-verbaux qu’elle soumet au Parquet et que l’on n’exige pas la même chose du médecin qui peut rapporter des déclarations par la personne expertisée sans permettre à cette dernière de les réfuter si elle le souhaite ?», s'interroge-t-il.

Vers plus d’avortements non médicalement assistés

Cette approche répressive visant patientes comme médecins pourrait-elle faire craindre une baisse sensible des IVG médicalement assistées ? Pour Hicham Benyaich, «il est clair que ce ne sera pas le cas». Dans ce sens, le médecin légiste prévient : «Pénaliser les médecins qui effectuent cette intervention n’empêchera pas les femmes de continuer à avorter. Elles risquent par contre de s’éloigner du corp médical et recourir davantage à des personnes non-qualifiées, à des guérisseurs, à l’ingestion de substances censées interrompre la grossesse mais qui peuvent être fatales, ou à la mise en danger de leurs vies à cause de l’utilisation d’objets tranchants et souillés susceptibles de causer des hémorragies internes.»

De son côté, Chafik Chraïbi, gynécologue et président de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC), souligne auprès de Yabiladi que «les gynécologues et le Conseil de l’ordre national des médecins doivent se mobiliser. Mais nous ne les entendons pas assez et c’est malheureux». «Les médecins endocrinologues, gastro-entérologues, cardiologues et pédiatres ont réagi dans un communiqué commun, mais les premiers concernés par ce débat ne sont pas en première ligne en termes de solidarité : lorsqu’il y a présomption d’innocence, la moindre des choses est de ne pas rester indifférent», soutient-il.

«Nous remarquons qu’il y a quelques années, les avortements se pratiquaient par centaines sans que les médecins soient inquiétés. On fermait les yeux parce que cela arrangeait tout le monde. Mais ces dernières années, nous constatons que la loi frappe d’une main de fer», déplore-t-il.

Par conséquent, nombre de médecins refusent désormais de pratiquer l’avortement «car ils ont peur de subir le sort de Dr. Belkeziz (médecin de Hajar Raïssouni, ndlr) alors qu’il n’y a pas la certitude que ce dernier l’a fait», nous affirme Chafik Chraïbi. «Si les gynécologues font marche-arrière, imaginez que même une femme venant pour des saignements des suites d’une fausse couche se voit refuser la prise en charge, car le praticien pourrait être poursuivi pour un avortement qui n’a pas eu lieu», s’inquiète le médecin.

Article modifié le 02/10/2019 à 23h18

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