Dans le cadre d’un traitement qui peut durer plusieurs mois, il arrive à des patients de perdre patience ou de ne plus croire en l’efficacité du traitement qui leur a été administré sous surveillance médicale. Certaines personnes pensent alors à la médecine traditionnelle, notamment après une mauvaise expérience avec un médecin, ou dans l’attente de résultats probants en un court laps de temps.
«Il est assez fréquent que les patients recourent aux voix traditionnelles de médication, ces usages étant profondément ancrés dans notre culture depuis des siècles», nous explique Ali Oudghiri, hépato-gastro-entérologue à Casablanca.
Celui-ci indique que l’exemple rencontré le plus souvent est celui de la jaunisse (ictère), où «plusieurs personnes ont tendance à se soigner par une forme de moxibustion marocaine, ce qui laisse de grandes cicatrices dans le dos et qui ne garantit pas forcément une guérison».
«J’ai rencontré beaucoup de cas chez des personnes moins instruites ou vivant dans les zones rurales», indique Dr. Oudghiri, évoquant ainsi la question de l’accessibilité équitable des soins sur l’ensemble du territoire pour limiter les recours aux voies non conventionnelles.
«Il est difficile de maintenir une consultation régulière chez un médecin spécialiste conventionnel, qui est plus souvent en ville, lorsqu’on vit dans une région éloignée et qu’on manque en plus de moyens. Les espoirs sont donc portés sur des traitements de substitution qui ne sont pas pour autant efficaces.»
Une thérapie palliative
«Dans des cas de pathologies cancérologiques, les patients font très souvent confiance à la médecine classique. Mais arrivés à un certain stade, lorsqu’ils ont subi tous types de chimiothérapie et que la maladie est toujours là, ils se tournent vers la médecine traditionnelle en guise de soin palliatif, à travers l’utilisation de certaines herbes, des incantations…», explique encore Ali Oudghiri.
«Dans ce cas-là, même des personnes instruites le font car elles sont dans une phase où elles sont en quête d’espoir et ont besoin de se sentir moralement rassurées», souligne-t-il. Abondant dans le même sens, le sociologue Abdeljabbar Boucetta déclare à Yabiladi que «les charlatans travaillent au nom de la religion et donc sur le point faible des Marocains, sauf que le Coran ne peut pas mieux guérir que les médecins, même s’il peut apporter un certain apaisement spirituel à certaines personnes».
Ali Oudghiri considère qu’«il est important de choisir de manière tranchée entre la médecine classique ou traditionnelle, car cela permet dans les deux cas d’avoir plus de visibilité sur l’efficacité des soins». En effet, le recours à ces deux options simultanément rend «difficile de savoir si c’est le traitement médical qui a amélioré l’état du patient ou si ce sont des substances naturelles prises dans un autre cadre qui ont accéléré les résultats dudit traitement», soutient le médecin.
«Certains herboristes prodiguent des préparations complexes, dont il est difficile d’identifier les composantes. C’est une forme d’exercice illégal de la médecine insuffisamment punie et qui est même acceptée.»
Pour limiter les dégâts de cette «médecine illégale», Ali Oudghiri préconise notamment que «les associations de consommateurs se saisissent suffisamment du volet médical afin que les patients soient mieux protégés et mieux informés, car les médications traditionnelles peuvent s’avérer dangereuses».
Une pratique dont les conséquences peuvent être irréversibles
Cette pratique à risque se fait quelque soit la maladie : gastrologie, cancérologie, neurologie ou encore gynécologie... Médecin résidant au service de gynécologie du CHU Ibn Rochd à Casablanca, Mehdi Bensouda souligne en effet les limites de cette forme de médication : «Nous ne sommes pas contre l’utilisation des plantes médicinales connues, par exemple pour leur vertu à calmer les maux de tête, les douleurs abdominales légères ou le rhume, mais elles doivent néanmoins être prescrites par dose et leur consommation suivie de près par un spécialiste en médecine douce».
Les spécialistes de la médecine douce ne sont pas souvent consultés en premier, même lorsque les patients veulent recourir à un traitement traditionnel. «Plusieurs vont d’abord vers des personnes qui ne sont pas qualifiées, comme les fqih, les sorciers ou les marabouts», déplore-t-il.
Donnant un exemple de sa spécialité, Dr. Bensouda avertit sur certains usages : «Quand certaines femmes remarquent des symptômes de cancer du sein et qu’elles n’en ont pas connaissance, on leur prescrit l’utilisation du henné sur les zones douloureuses, ce qui n’est pas du tout adapté à leur état de santé et cela leur fait perdre du temps précieux pour le traitement.»
«Les avortements qui ne sont pas médicalement assistés ou effectués par des charlatans incluent la consommation d’herbes qui provoquent des hémorragies abondantes aux femmes, ce qui met souvent leurs vies en péril.»
Différencier les soins de la thérapie complémentaire
En neurologie, les usages de cette médication peuvent également avoir des conséquences irréversibles sur la santé des patients, comme nous l’explique une spécialiste au CHU Ibn Sina, citant l’exemple des maladies inflammatoires du système nerveux central. «Celles-ci sont connues par des périodes de poussée et de rémission auxquelles s’adaptent le traitement médical, contrairement aux mesures inconventionnelles», nous affirme-t-elle.
«Il est déjà arrivé à une patiente de faire un infarctus médullaire qui lui a fait perdre la motricité de ses membres inférieurs à cause d’une cupping thérapie non surveillée, ce qui a atteint sa moelle épinière et malheureusement, son cas était irréversible.»
Pour cette médecin qui a requis l’anonymat, «le pire aujourd’hui est que ce ne sont pas uniquement les personnes qui ne seraient pas assez instruites qui y ont recours». Avec l’accès à internet, elle explique que «plusieurs patients vont d’abord sur des sites peu connus ou des forums avant de consulter un médecin».
«Ils reprennent des conseils médicaux de ces plateformes, ont accès à des informations erronées par rapport à leur cas et les conseils thérapeutiques ne leur sont pas adaptés», déplore-t-elle. Par conséquent, «ces traitements traditionnels peuvent retarder la guérison, lorsqu’elle n’empire pas l’état de santé», souligne encore la spécialiste.
Celle-ci tient à ce que les patients différencient les usages complémentaires des traitements de base. «L’OMS utilise bien l’appellation de ''thérapies complémentaires'', comme par exemple la musicothérapie, le sport, la méditation etc. qui doivent accompagner la surveillance médicale centrale et non pas s’y substituer», affirme-t-elle encore.
«Sensibiliser sur ces questions est une responsabilité partagée de tous, du patient aux médias, en passant par le médecin lui-même et le praticien traditionnel qui doit connaître les limites des traitements qu’il propose ou leur complémentarité», conclut-elle.