Une enquête diligentée à Igualada, commune de la province de Barcelone, en Espagne, dévoilée ce mardi par El Mundo, dévoile les rouages du financement des mosquées et des agents de renseignement marocains ainsi que le détournement de fonds alloués par le Maroc à la gestion des lieux de culte dans le pays ibérique. L’affaire, dévoilée par le journal espagnol en se basant sur l’enquête menée sur décision de la Cour numéro 5 d’Igualada, révèle les noms de plusieurs personnes, soupçonnées d’appartenir aux services secrets marocains en Espagne tout comme d’autres accusées de détournement de fonds.
C’est en 2015 que tout commence, lorsque les nouveaux dirigeants de l’Union des centres culturels islamiques de Catalogne (Uccic), fondé par Nourreddine Ziani (expulsé d’Espagne sur fond d’accusation d’espionnage pour le compte du Maroc) diligentent un audit des comptes de cette association. Ils auraient «constaté qu'une grande partie de l'argent qu'ils ont reçu du Maroc n'a pas été utilisé aux fins énoncées dans leurs statuts», rapporte le journal. Un an plus tard, le nouveau président de l’UCCIC, Mimoun Jalich, saisit la justice espagnole qui ouvre une procédure sur un crime de fraude présumé en matière de subventions.
Dans cette affaire, où le nom de Noureddine Ziani et celui de son épouse Atiqa Bouhouria Meliani reviennent souvent, celle-ci aurait comparu une première fois, en janvier 2017 pour répondre aux accusations de Mimoun Jalich. Même lorsque ce dernier retire sa plainte la justice reste saisie. L’épouse de Ziani se serait présentée à nouveau devant la justice il y a six mois, ajoute le journal espagnol.
Détournement présumé de fonds
Mais l’affaire révèle, dans sa première partie, comment le Maroc financerait des mosquées et des agents secrets en Espagne. El Mundo cite un colonel de la DGED, travaillant au consulat du Maroc à Barcelone jusqu'en 2009, date à laquelle il rentre au Maroc après avoir «mis en place un réseau d'espions et de confidents en Catalogne qui se répandra ensuite dans le reste de l'Espagne». De ce réseau émerge Noureddine Ziani, expulsé d’Espagne en 2013 car représentant «un danger pour la sécurité nationale» pour le voisin ibérique et désigné comme «agent de la DGED». Mais avant de partir d’Espagne, il avait créé l’Uccic avec laquelle il «coordonna officiellement 70 mosquées en Catalogne, forma des imams, organisa des activités et contribua à l'intégration de la communauté musulmane». Pour cela, il aurait reçu «plus de deux millions d'euros par an du ministère des Habous et des Affaires islamiques du Maroc». De l’argent ayant «en réalité abouti sur plusieurs comptes bancaires de Ziani et de sa femme».
De l'Uccic, Ziani et son épouse auraient créé d'autres structures pour «blanchir l'argent». El Mundo cite plusieurs exemples, dont la Fédération des entités des centres culturels islamiques de Catalogne et affirme l’existence de «paiements qu'ils ont fait à leurs collaborateurs en espèces avec l'argent reçu de toutes ces associations». En réalité, ces collaborateurs seraient «des informateurs et agents la DGED vivant en Catalogne». Et le média espagnol en cite plusieurs plus ou moins connus en Espagne.
Après une première convocation par la justice, Mimoun Jalich aurait reçu un appel de Mohamed Belahrech, présenté par El Mundo comme «responsable de la DGED à Rabat» pour retirer sa plainte. Ce fonctionnaire serait aussi lié au deuxième volet de cette affaire ; celui relatif au détournement présumé de l’argent envoyé du Maroc.
Le deuxième volet de l’affaire, sur lequel enquête la justice, aurait commencé en 2013 avec l'ouverture d'une agence de voyages en Espagne appelée Aya Travel Tours par Atiqa, Naima Lamalmi et Naziha El Montaser. Si Naima, propriétaire d’une clinique dentaire à Rabat, est mariée à Mohamed Belahrech, Naziha, une enseignante, est l’épouse d'Abdellah Boussouf, secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME). Le premier responsable est accusé d’être «chargé de contrôler les mosquées et les imams dans des pays comme l'Espagne et d'envoyer des agents dans leurs missions à l'étranger». Quant à Abdellah Boussouf, il «superviserait l’argent envoyé du Maroc à ses communautés dans les pays européens». De plus, «Boussouf, Belahrech et Ziani ont une autre agence de voyages, Elysee Travels , basée à Rabat», révèle El Mundo citant une source judiciaire. «Ce sont toutes des sociétés fantômes de détournement et de blanchiment d'argent», explique la source judiciaire espagnole. «Des virements ont été effectués sur les comptes bancaires de Ziani, de son épouse Atiqa, ainsi que vers l’agence Aya Travel. Et puis, une partie de cet argent a atterri dans l’autre agence fantôme de Rabat gérée par trois hommes forts de l’Etat marocain», détaille-t-elle.
Abdellah Boussouf y voit la main de la droite espagnole
El Mundo affirme avoir contacté les protagonistes de cette affaire qui auraient refusé de commenter. Yabiladi a tenté de joindre Mohamed Belahrech mais en vain. De son côté, Abdellah Boussouf dénonce un article écrit avec «beaucoup de mauvaise foi où le journaliste a utilisé des informations inexactes et des accusations infondées». «Si, dans un pays comme l'Espagne, ces transactions étaient réellement effectuées, je pense que la sécurité et les autorités compétentes en matière de lutte contre les crimes financiers ne l’auraient pas permis», nous déclare-t-il.
«Nous nous tenons à la disposition de la justice espagnole et la justice marocaine quant au détournement présumé. Si les transactions évoquées par l’article s’avèrent réelles, nous sommes prêts à être jugés et emprisonnés.»
Le secrétaire général du CCME reconnait l’existence de l’agence de voyage à Rabat mais précise qu’il l’a intégrée pour soutenir Noureddine Ziani, «ayant été expulsé du jour au lendemain d’Espagne car son engagement pour la diaspora marocaine dérangeait les Espagnols». Il affirme s’être engagé avec l’ancien patron de l’UCCIC «à titre personnel». «Je n’ai jamais fait de transaction avec lui au nom de l’institution que je représente ou un quelconque établissement», insiste-t-il.
Abdellah Boussouf rappelle, à cette occasion que «les déclarations fiscales existent au Maroc». Pointant du doigt une campagne visant le Maroc, ayant débuté il y a quelque temps, après notamment la parution d’un livre dont le préambule a été rédigé par le journaliste espagnol Ignacio Cembrero, notre interlocuteur accuse la droite espagnole conservatrice. «Ayant perdu les élections législatives en raison de la corruption, ils n’ont de projet sociétal que d’utiliser le Maroc pour faire peur, en relayant ces rumeurs selon lesquelles le Maroc planterait ses informateurs et ses espions en Espagne en utilisant de l’argent».
Le secrétaire général du CCME estime que «l’article n’est pas nouveau car d’autres personnes ont subi le même sort, comme El Haj Mohamed Ali de Ceuta» touché selon lui par «les mêmes accusations». «Ce que je peux vous confirmer, c’est qu’aucun dirham n’est passé du côté où je travaille, que vers une entreprise marocaine ou espagnole et je défie les Espagnols de prouver le contraire», conclut-il.