Partisan du dialogue pour ne pas arriver à la confrontation, on ne peut que se réjouir de ce rendez-vous. Surtout après une période où les relations sociales entre les deux pays, ont été mises à mal par la décision unilatérale, injuste et discriminatoire du gouvernement néerlandais, de diminuer de 40% à partir du 1er janvier 2013 les pensions de veufs et de veuves, ainsi que les allocations familiales pour les enfants se trouvant au Maroc. Cela en attendant l’annulation pure et simple, à partir du 1er janvier 2014, de l’exportation des allocations familiales vers l’étranger, dont le Maroc.
Logique du fait accompli
Avec l’instauration de pourparlers autour d’une table, se dirige-t-on vers un accord qui protège les droits acquis des 900 veufs et veuves marocains et 4500 enfants au Maroc, lésés par la nouvelle législation néerlandaise, instituant le principe du pays de résidence ?
Rien n’est moins sûr, puisque l’ambassadeur des Pays-Bas à Rabat, rappelait encore dernièrement dans les colonnes de «Maroc-Hebdo» du 19 au 25 avril 2013, que les négociations ne porteront nullement sur le principe du pays de résidence mis en place et voté souverainement fin juin 2012 par le parlement néerlandais.
Cette position rigide, revient à dire qu’on est en présence d’un fait accompli, auquel le Maroc doit se soumettre sans rechigner et qui est donc non négociable.
Dérobades du ministre des MRE
Face à cela, le Maroc affirme, du moins en parole, que le gouvernement défendra bec et ongles les droits acquis de ses ressortissants. Mais l’intervention en commission des Affaires étrangères à la Chambre des Représentants le mercredi 24 avril 2013 de Abdellatif Maâzouz, ministre délégué auprès du chef du gouvernement, chargé des Marocains résidant à l’étranger, laisse perplexe. Beaucoup d’arguments qu’il a développés pour expliquer la position du gouvernement hollandais, sont en effet très discutables ou contreviennent à la réalité des faits. Il reprend par ailleurs à son compte des justifications présentées par les Néerlandais eux-mêmes. Relevons en les discutant, les principales idées exprimées par le ministre, lors de cette audition parlementaire, ouverte également à la presse, aux observateurs et aux analystes de la scène migratoire marocaine.
Que font les instances chargées des MRE
1- Prétendre d’une part que le ministère chargé des MRE a pratiqué une politique proactive, préventive et permanente de défense des intérêts des personnes concernées par le dossier social Maroc/Pays-Bas, et d’autre part que le même département a sensibilisé et formé au Maroc (notamment une association à Berkane) et aux Pays-Bas les ONG de l’immigration marocaine pour la prise en charge juridique du dossier des veuves et des orphelins, est une contre vérité et voici pourquoi.
Ce sont plutôt les familles concernées et ces ONG qui ont sensibilisé les responsables ministériels marocains. Ceux-ci n’ont réagi que très tardivement (journée d’études à Al Hoceima le 7 janvier 2013), une fois seulement que la loi néerlandaise a été votée et qu’elle a commencé six mois après, à être appliquée (début janvier 2013).
2- Dire que le CCME joue le rôle d’observatoire et de veille, permettant au gouvernement marocain d’anticiper les mesures à prendre, comme pour le cas du dossier Maroc/Pays-Bas, n’a rien à voir avec la réalité concrète. Le Conseil étant entièrement déconnecté de ces préoccupations.
Sur ce plan, au lieu d’assumer leur devoir de veille et de s’attaquer à la carence du gouvernement marocain, les responsables du CCME, préfèrent s’en prendre aux ONG de Marocains aux Pays-Bas. C’est ainsi que lors d’un récent entretien publié sur le site du Conseil, Abdellah Boussouf, affirme ceci : « Prenons l’exemple des Marocains aux Pays-Bas qui ont vu leurs pensions de retraite baisser considérablement. Si les associations étaient assez bien organisées, elles auraient pu propulser cette question au cœur du débat politique et de la justice hollandaise».
Or ce travail de mobilisation et de plaidoirie est fait par la «Coordination des Associations de Marocains aux Pays-Bas contre l’annulation des allocations familiales», alors que les responsables du CCME n’ont pris aucune initiative dans ce domaine. Relever cela par des arguments et des preuves tangibles n’est pas «vilipender» l’institution, «s’acharner» sur elle, mais mettre à nu les dysfonctionnements à la pelle de son trio dirigeant et de l’absence d’efficacité dans la gestion.
Plus Hollandais que les Néerlandais
3- Dire comme l’a déclaré le ministre chargé des MRE, que 75% en moyenne des Marocains aux Pays-Bas, ont acquis la nationalité néerlandaise, et que «dans nos discussions avec le gouvernement hollandais, on traite d’un dossier où 75% des concernés sont Néerlandais», ne justifie nullement le fait que le Maroc n’a plus de légitimité pour défendre les droits et intérêts de ses ressortissants.
D’abord, la nationalité marocaine ne se perd pas. En second lieu, même en s’inscrivant dans la logique consistant à dire qu’il ne reste plus que 25% de Marocains aux Pays-Bas qui n’ont pas pris la nationalité néerlandaise, ce taux est largement suffisant (même avec moins) pour légitimer la nécessaire implication des autorités marocaines dans la défense des intérêts des Marocains à l’étranger, tel que le stipule d’ailleurs l’article 16 de la Constitution marocaine du 1er juillet 2011, selon lequel «le Royaume du Maroc œuvre à la protection des droits et des intérêts légitimes des citoyennes et des citoyens marocains à l’étranger ».
4- Affirmer que la décision du gouvernement néerlandais ne vise pas spécifiquement les Marocains, mais concerne toutes les personnes vivant hors du territoire de l’Union Européenne, y compris les Néerlandais expatriés, passe sous silence le fait qu’il s’agit là d’une réelle discrimination, le gouvernement néerlandais faisant la différence entre ceux qui vivent au sein de l’UE et ceux qui vivent à l’extérieur de l’UE.
Fuite devant les responsabilités
5- Déclarer que le gouvernement néerlandais actuel est empêtré dans ce dossier par un fait accompli et qu’il cherche à s’en sortir par la voie du dialogue avec les pays d’origine, ne correspond nullement à la pratique diplomatique néerlandaise.
En plus des déclarations récentes de l’ambassadeur des Pays-Bas à Rabat, souvenons-nous notamment de la menace de suspension de la convention de sécurité sociale Maroc/Pays-Bas de 1972, agitée par le Conseil des ministres néerlandais du 30 novembre 2012.
De même, le ministre hollandais de l’Emploi, qui appartient au parti du Travail, a refusé de tenir compte de la motion votée le samedi 27 avril 2013 par son parti, selon laquelle le gouvernement néerlandais doit revoir, au niveau de sa politique migratoire, le principe du pays de résidence et retirer du parlement, le projet de loi tendant à la suppression totale de l’exportation des allocations familiales qui entrera en vigueur le 1er janvier 2014, si le projet de loi est adopté.
Dés lors, l’optimisme affiché par le ministre chargé des MRE n’a aucun fondement sérieux et ne constitue que l’expression d’un double langage.
6- Déclarer et marteler devant les députés en commission des Affaires étrangères, que le gouvernement marocain n’ira pas en justice pour défendre les intérêts légitimes des citoyens marocains aux Pays Bas, constitue objectivement un encouragement au gouvernement néerlandais à maintenir sa position rigide.
Précisons ici un élément important occulté par le ministre. Les recours gracieux introduits par les personnes lésées auprès de l’organisme néerlandais de sécurité sociale, ont été refusés le 21 mars 2013 et les familles concernées ont déjà saisi le tribunal d’Amsterdam, qui débattra de cette affaire entre le 30 et le 31 mai 2013.
Un débat bienvenu mais tardif
Au niveau du Maroc, le débat parlementaire en particulier sur le dossier Maroc/Pays-Bas qui devait avoir lieu le 24 avril 2013 à la Chambre des Conseillers, avec le Chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, a été reporté au 8 mai 2013, c'est-à-dire au lendemain de la rencontre officielle Maroc/Pays-Bas.
Voilà pourquoi, l’attention du gouvernement ne peut être qu’à nouveau attirée sur les deux éléments suivants :
Remise en cause des droits
Toute révision ou «rafraichissement» de la convention de sécurité sociale de 1972 liant le Maroc et les Pays-Bas, tendant à l’incorporation de l’esprit du principe du pays de résidence, serait une remise en cause flagrante des droits acquis par les citoyens marocains aux Pays-Bas. Ce serait également un coup de poignard porté dans leurs dos, alors qu’ils ont déjà amorcé le recours en justice, d’abord aux Pays-Bas, puis à l’échelle européenne s’ils n’obtiennent pas satisfaction à la première étape.
Le droit international prévalant sur la législation interne, le gouvernement marocain se doit à notre sens sur ce point, l’observation stricte de l’article 5 de la convention bilatérale Maroc/Pays-Bas en matière de sécurité sociale, qui énonce clairement et sans aucune ambiguïté ce qui suit : «Les prestations en espèces d’invalidité, de vieillesse ou de survivants, les allocations au décès et les allocations familiales acquises au titre de la législation de l’une des parties contractantes, ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que réside sur le territoire de la partie contractante autre que celui où se trouve l’institution débitrice».
Risque de l’effet domino
Toute soumission du gouvernement marocain au fait accompli, serait un encouragement donné au Conseil d’Etat néerlandais (Cour constitutionnelle) de valider le projet de loi concernant la suppression totale des allocations familiales vers l’étranger, dont le Maroc. La soumission du Maroc à la décision néerlandaise, unilatérale et injuste, serait également un message de faiblesse adressé aux autres pays européens (et extra-européens) d’immigration pour la remise en cause des droits sociaux des Marocains à l’étranger, en ces temps de crise.
Au gouvernement marocain de jouer par conséquent à fond la carte du strict respect du droit international et des droits humains par les pays d’immigration. A l’occasion du 1er mai 2013, Fête internationale des travailleurs manuels et intellectuels, présents également en masse au sein de la communauté marocaine résidant à l’étranger, il nous parait impératif de procéder à ce rappel aux gestionnaires du dossier migratoire marocain, à quelques jours de la tenue dés pourparlers marocco-néerlandais des 6 et 7 mai 2013.