Id Yennayer, Yennayer ou le Nouvel An amazigh, autant d’appellations sont données à cette période de l’année, que d’autres appellent également «le nouvel an agraire». En effet, cette célébration millénaire est l’occasion de chérir les valeurs de partage, de générosité, ainsi que les symboles de l’abondance qui vont avec, à commencer par la terre nourricière, mais aussi la vie qu’elle rend possible.
C’est pour cette raison même que nombre de préparations et de mets sont servis à volonté, lors de ces festivités. Celles-ci sont marquées par des retrouvailles à grande échelle, au-delà du cercle strictement familial. Outre la transmission du savoir-faire culinaire et des valeurs de partage, de résilience et de respect, l’idée de la célébration d’Yennayer est justement de maintenir un certain esprit de vie en communauté, où le travail collectif de la terre permet de cueillir les fruits d’un labeur, qui reconnaît la contribution de chacun au bien commun, hommes, femmes et enfants.
Les origines de cette célébration remontent à l’intronisation du pharaon amazigh Sheshonq Ier. L’Egypte pharaonique est d’ailleurs la première civilisation qui a su développer un savoir-faire culinaire à base de graines pétries, à commencer par la fabrication du pain et la fermentation. Mais plus largement, la population s’est nourrie jusque-là de bouillies et de galettes non levées.
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Symboliquement, l’esprit de partage du savoir-faire et des valeurs qui se sont greffées à Yennayer au fil des siècles se conjugue dans les assiettes, avec des ingrédients faisant référence à la terre et aux spécificités localement anciennes : huile d’olive, huile d’argan, miel, ghee (smen), haricots blancs, lentilles, pois chiches, orge, maïs, pois secs, fruits secs, légumes séchés, herbes locales ou encore viandes séchées, dont les pieds de chèvre (ikikr), selon les régions.
Après le Nouvel An du calendrier grégorien, place donc à celui plus anciennement ancré dans la tradition amazighe de toute l’Afrique du Nord, y compris au Maroc. Dans le pays, nombre de régions ont coutume de commémorer le Nouvel An amazigh avec un dîner collectif. Dans le Souss principalement, le festin est façonné autour d’une bouillie épaisse qui trône au centre de la table : tagoula.
Dans la région, Tiznit est considérée comme l’un des chefs-lieux où cette préparation est servie dans les règles de l’art et de la tradition culinaire, rappelle l’Office national marocain du tourisme (ONMT).
«Amnaz», la fève multi-millénaire porteuse de bénédiction
Servi chaud en cette saison hivernale, ce plat est fait souvent à base de semoule de maïs ou d’orge. En été, la tagoula devient une préparation aussi nutritive que rafraîchissante, servie tiède ou refroidie, avec du petit lait (lben). Au-delà du délice, la préparation dénote elle-même d’une philosophie de vie qui se célèbre à travers les siècles.
En effet, le secret de la réussite de la tagoula demeure dans la patience que l’on met dans sa cuisson méticuleuse, à feu doux et idéalement sur feu de bois pendant des heures, jusqu’à s’assurer que les graines sont tendrement cuites. Pour une touche festive, la tagoula du Nouvel An peut s’accompagner d’autres composantes, au-delà du classique bol d’huile d’olive ou d’argan. Selon les disponibilités, elle peut être dressée avec des dattes et des amandes.
Comme dans la galette des rois, qui célèbre l’épiphanie en ce mois de janvier, la tagoula d’Yennayer recèle bien sa graine sucrée, que petits et grands s’amusent à retrouver pour savoir qui aura la chance de porter continuellement la bénédiction, jusqu’au prochain rendez-vous annuel. Il s’agit d’«amnaz», une date cachée au milieu du plat de tagoula.
Dans la croyance populaire, la découvrir sera de bon augure sur toute l’année. Outre les fruits secs, la tagoula est dressée avec un filet d’huile d’olive ou d’argan, ou encore du miel et du ghee. A table, chacun se sert à sa guise en ajoutant une dose supplémentaire de l’une de ces composantes, selon l’appétit des uns et des autres. Les plus friands peuvent aussi accompagner leur met d’un onctueux amlou, la traditionnelle marmelade d’amandes.
Au-delà de la tagoula, la table d’Yennayer peut être enrichie de différents mets patiemment mijotés. Ainsi, certaines communautés optent pour un autre plat principal tout aussi légendaire : le couscous. Dans les régions les plus empreintes des cultures amazighes, il se décline en préparations à base d’orge ou de maïs, de feuilles vertes et de légumes de saison, principalement les navets et les carottes. Contrairement à la version communément admise et plus moderne, le t’am du Nouvel An amazigh se prépare généralement sans viande.