Pendant la seconde moitié du siècle dernier, l’œuvre de l’écrivain et musicologue américain Paul Bowles (1910 – 1999) donna l’idée à nombre de poètes et de romanciers anglo-saxons de séjourner au Maroc. Des légendes du rock des années 1960 et 1970 suivirent ces gens de lettres. Mais loin de l’écriture, de la musique, des arts du spectacle ou même de la politique, d’autres personnalités publiques se rendaient au pays. En effet, les professionnels du domaine de la mode n’échappèrent pas à la tendance.
Yves Saint Laurent (1936 – 2008), grand nom de la haute couture française, fut ainsi l’un des premiers à pousser les mannequins européennes et américaines à se rendre au royaume. C’est ici que furent organisés des shootings parmi les plus marquants de l’histoire de la mode du 20e siècle, sous la houlette de ce grand créateur né à Oran.
Yves Saint Laurent / Ph. DR.
Là-bas, ce dernier passa toute son enfance et une partie de sa jeunesse, avant de s’envoler pour Paris, où il étudia brièvement à l’Ecole de la chambre syndicale de la couture parisienne et intégra la maison Dior, à 21 ans. Il se distingua par son dessin et ses créations originales, facilement reconnaissables parmi toutes les autres.
Mais après son service militaire et son hospitalisation, probablement à cause d’une dépression, il fut remercié de la direction artistique en 1960. Ce n’est pas pour autant qu’Yves Saint Laurent se laissa sombrer. Il créa sa maison de mode éponyme en 1961, son nom étant déjà connu dans le monde de la mode française.
Quelques années plus tard, le jeune créateur revint en Afrique du Nord. A quelques 1100 kilomètres d’Oran, sa région natale, il se laissa séduire par cette ville envoûtante qu’est Marrakech. Son premier voyage au Maroc l’y mena en 1966, en compagnie de Pierre Bergé (1930 – 2017). Le couple fut tout de suite charmé par la cité ocre. Il n’hésita pas à en faire part à ses amis et à son entourage professionnel.
YSL et Marrakech
Dans une interview accordée à Amuse, Pierre Bergé évoquait ses premiers jours avec Yves Saint Laurent à Marrakech :
«Après l’escale à Tanger, Yves et moi arrivâmes à Marrakech à bord d’un avion. Nous avions séjourné à la Mamounia. Ce jour-là, il pleuvait beaucoup. Les précipitations continuèrent pendant toute une semaine. Après quoi, nous avions enfin pu découvrir la lumière particulière de Marrakech. Une lumière distincte que l’on ne vit nulle part ailleurs. Au loin, on pouvait apercevoir la neige aux sommets des montagnes de l’Atlas, à l’horizon.»
Yves Saint Laurent et Pierre Bergé / Ph. DR.
Plus loin, Pierre Bergé décrivit son amour obsessionnel pour la cité ocre : «Quand on tombe amoureux, il est difficile de s’en expliquer les raisons ! Nous n’oublierions jamais ce matin lorsque la pluie avait cessé. Nous étions réellement tombés amoureux de tout.»
Yves Saint Laurent ne le savait peut-être pas encore, mais il avait déjà commencé un voyage qui inspira d’autres professionnels de la mode, de la haute-couture et du design, créant chez eux le déclic et les rendant curieux de voir le Maroc. Après avoir acheté une maison dans la médina de Marrakech, il y revint régulièrement avec Pierre Bergé. Ces retours ne se faisaient jamais sans la compagnie d’amis comme Andy Warhol, Loulou de la Falaise ou encore Betty Catroux, qui eurent à leur tour un coup de foudre artistique pour la ville.
Yves et Pierre étaient tellement fascinés par Marrakech qu’ils partageaient cet engouement avec leurs connaissances, en les invitant régulièrement à se joindre à eux dans leur demeure appelée «Dar el Hanch» (la maison du serpent) «Je me souviens de beaucoup de beaux moments remplis d’amour en compagnie de Loulou de La Falaise, de Fernando Sanchez, de Betty Catroux, d’Andy Warhol, de Paul et de Talitha Getty», se rappelait Pierre Bergé.
Betty Catroux en visite chez ses meilleurs amis
Aux mannequins l’ayant côtoyé, Yves Saint Laurent transmit un véritable enthousiasme pour visiter Marrakech. En plus d’avoir été une amie proche du jeune créateur, Betty Catroux était l’une des égéries de ses collections. Née au Brésil d’un père américain travaillant dans la diplomatie, Betty était en effet connue dans le monde de la mode comme étant la muse d’YSL, voire sa «sœur jumelle». Lui-même l’affirmait à plusieurs reprises.
Yves Saint Laurent et Betty Catroux à Marrakech / Ph. DR
Ils se rencontrèrent pour la première fois en 1960 et le modèle se souvient encore de ces moments passés avec le créateur. Dans un article de Vogue publié en octobre dernier, à l’occasion de l’inauguration du musée Yves Saint Laurent, elle déclarait ainsi : «J’ai tellement de souvenirs avec lui, ici aussi à Marrakech. Je sens qu’il veille sur nous.»
«Yves Saint Loulou»
Betty n’était pas le seul top model ayant rendu visite à Yves dans sa maison au Maroc. Une autre de ses égéries, Loulou de La Falaise, était là également. La designer française, éditrice et ancien mannequin, était un membre important de l’équipe du créateur entre 1972 et 2002.
Loulou la Falaise et Yves Saint Laurent à Marrakech / Ph. DR
Une photo en noir et blanc prise par Pierre Bergé montrait Yves et Loulou dans un jardin de Marrakech. Souriant à la caméra, celle-ci était assise à côté du modéliste sur un tapis à l’ombre d’un arbre. «Sa présence à mes côtés était un rêve», déclarait une fois Yves Saint Laurent qui appréciait toujours la compagnie de la designer.
Sur le toit de Marrakech
Aucune autre célébrité de la mode ne fut plus connue pour son voyage au Maroc autant que Talitha Getty, actrice et mannequin néerlandaise qui fut étroitement associée à la ville ocre.
Pierre Bergé expliquait précédemment que Talhita était considérée dans les années 1960 comme une icône de la mode. Elle faisait partie des nombreux amis qui rendirent visite à Yves. En 1968, Talitha épousa Paul Getty, un industriel américain et fondateur de Getty Oil Company. Connu parmi la jet-set internationale, le couple vivait entre Londres, Rome et Marrakech.
Le couple Getty à Marrakech / Ph. Patrick Lichfield
Selon le blog historique Dandy in Aspic, Talitha et Paul tombèrent sous le charme de la ville à travers Yves Saint Laurent. Leur premier voyage fut immortalisé à travers une photo prise en janvier 1969 par Patrick Lichfield. On y reconnaissait Paul en Jellaba et Talitha en caftan coloré. Yves commentait cette prise :
«C’est la jeunesse des années 1960 (...) Talitha et Paul Getty allongés sur une terrasse étoilée à Marrakech. Toute une génération rassemblée comme pour l’éternité. Le rideau du passé se levant devant un avenir extraordinaire.»
Lisa Fronssagrives et Suzy Parker
Yves Saint Laurent resta l’une des figures internationales les plus connues de la mode qui incitaient d’autres célébrités à venir découvrir le Maroc et Marrakech en particulier, mais il n’était pas seul. Lisa Fonssagrives, première top model suédoise de la mode en tant qu’industrie, le fut également.
Lisa Fonssagrives à El Bahia à Marrakech en 1951 / Ph. Jean Desses
Photographiée par Jean Desses, un créateur mondialement connu durant les années 1940, 1950 et 1960, Lisa posa en 1951 au Palais El Bahia à Marrakech. Dans une magnifique photo en noir et blanc, elle se tenait à même le un sol, un parterre en mosaïque, portant la cape traditionnelle marocaine souvent utilisée par les hommes. Le décor du palais ainsi que les meubles firent de la photo un franc succès, donnant notamment des idées nouvelles aux créateur de l’époque.
Pendant ce temps, Suzy Parker, mannequin et actrice américaine posant régulièrement pour les couvertures de magazines et jouant dans des films, visita le Maroc à son tour. En avril 1953, la femme posa bagage dans le pays dans le cadre d’un shooting pour le magazine ELLE.
Suzy Parker posant pour le magazine ELLE au Maroc en avril 1953 / Ph. DR
Le résultat était spectaculaire : Une série de photos dans le Sahara, mettant en scène le mannequin, les habitants des Casbahs et les nomades dans leur environnement quotidien.
Depuis et au fil des ans, le Maroc devint petit à petit une destination importante pour les créateurs de mode, les top models et les industriels évoluant dans le domaine et dans ses disciplines connexes. Politiques, rockeurs, intellectuels, professionnels de la haute-couture, chacun trouvait son compte au cour d’un séjour à Marrakech, à Tanger ou à Fès, qui pouvait durer quelques jours, quelques mois, quelques années ou même le temps d’une vie.