Elève discrète, Hajar Azell a grandi en cultivant son jardin secret, qu’elle partage volontiers en évoquant son amour pour la littérature et son rapport à la mer, deux éléments qui lui ont ouvert des horizons infinis de réflexion et d’imagination. Native de Rabat, fille d’une mère et d’un père médecins, d’origine tangéroise et de Khémisset, la jeune écrivaine grandit à Harhoura, alors peu habitée et encore moins investie pour son littoral, qui a longtemps conservé son aspect naturel. C’est ainsi que ses balades au bord de cet océan prêtant à l’aventure, avec ses longues heures dans la bibliothèque de la maison parentale, façonnent toutes ses années passées au Maroc.
«Cela a défini quelque part mon rapport à l’écriture et mon amour pour la mer», nous confie Hajar Azell, qui estime avoir été «sauvée par les livres». Chez ses parents, elle dévore les romans policiers et fantastiques, fascinée par les écrits d’Agatha Christie, puis par la saga Harry Potter, mais aussi par les classiques, surtout Fiodor Dostoïevski. Entre 12 et 14 ans, elle se souvient avoir été une «boulimique des livres». «Mes parents me faisaient lire les classiques comme Emile Zola aussi et ayant beaucoup grandi dans la famille, je conserve des souvenirs différents, de ma culture amazighe, des beaux paysages, de Tanger, ville insoumise, révoltée et artistique à la fois… Mes lectures et surtout les romans russes, ainsi que tous ces contextes éclectiques où j’ai grandi, m’ont souvent émerveillée», nous raconte Hajar.
C’est dans la pièce aménagée en bureau et bibliothèque dans la maison parentale que l’écrivaine se souvient avoir habité. «A chaque fois, j’étais intriguée et curieuse de découvrir ce que peut me dévoiler un nouveau roman, je me disais que la vie était trop courte pour lire tous les livres qu’on veut !», nous confie-t-elle encore. «Je suis très reconnaissante à mes parents pour m’avoir transmis cet amour pour les livres en me parlant de ceux qu’ils lisaient aussi», reconnaît Hajar Azell.
Une passion retrouvée pour la littérature
Ce n’est pourtant pas en filière littéraire que Hajar Azell évolue, optant pour un baccalauréat scientifique. En France, elle fait des classes préparatoires en option sciences économiques à Paris. Elle rejoint ensuite la Haute école de commerce (HEC). Mais rattrapée par ses première passions pour les sciences humaines et les lettres, elle suit parallèlement des études en master de philosophie à la faculté. «Les classes préparatoires nous habituent à une certaine rigueur et une organisation de travail, qui permet de faire beaucoup choses», explique-t-elle. Pour elle, «l’école de commerce propose une formation pratico-pratique», mais à côté de laquelle l’autrice estime avoir eu «besoin de quelque chose qui [la] pousse à continuer à réfléchir».
Ph. Midi Libre
Inspirée aussi par ses nombreux voyages, Hajar Azell est marquée par la réflexion philosophique de Nietzche, d’Edward Saïd, d’Arindam Chakrabarti et de Pierre Bourdieu, lui permettant de questionner les rapports de force, l’écriture de l’Histoire en tant que peuples anciens…
«Tout cela change la manière de voir le monde, de questionner ses propres conceptions du monde, y compris des régions que l’on pense connaître… J’ai pu apprendre des dialectes, découvrir de nouvelles cultures musicales et cinématographiques, notamment en Afrique et dans le Moyen-Orient, qu’on ne me présentait pas comme une culture légitime.»
C’est ainsi qu’elle se rappelle de sa passion pour l’écriture de petites histoires et de nouvelles depuis le collège, en plus de petites enquêtes imaginaires, à partir de faits réels, qu’elle a partagées avec ses amis. «J’avais des sortes de cahiers que je m’amusais à personnaliser, voire à en brûler les bouts pour leur donner des apparences de vieux livres, comme ceux que j’imaginais en lisant les romans policiers et fantastiques», se souvient-elle.
«J’aimais tout apprendre et je devais toujours trouver un moyen de cultiver mes passions. Ma ténacité a fait que j’aie pu continuer à m’intéresser à la littérature, même si mon cursus n’a pas porté sur ce domaine proprement dit. Je ne regrette d’ailleurs pas mon parcours, car il m’a permis d’être outillée pour créer des projets collectifs, tout en cernant les aspects budgétaires et créatifs à la fois», détaille encore la jeune écrivaine.
Ecrire sa propre histoire
En 2013, Hajar Azell lance le site Onorient, dont elle est la directrice. Elle en a rapidement fait une plateforme qui donne de la visibilité aux jeunes artistes de la région d’Afrique du Nord et Moyen-Orient, en pleine émergence d’une nouvelle expression créative et alternative post-2011, au-delà des formats mainstream. «Sans ma formation en école de commerce, je n’aurais peut-être pas eu les outils pratiques pour joindre ma formation à ma passion», se rappelle celle qui a lancé le projet à l’âge de 21 ans.
Le succès d’Onorient dépasse les attentes de la jeune équipe autour de Hajar Azell. 60% du lectorat est basé en France, 40% entre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. «Le média a pu produire également, car il y a eu une richesse culturelle qui n’a pas été assez couverte par beaucoup de médias, dans le temps. Nous nous sommes rendu compte que nos histoires, en tant que jeunes générations, ne sont pas encore écrites», observe l’écrivaine. Depuis, sa détermination se renforce sur l’importance de l’exercice : «Quel que soit notre métier, il faut toujours continuer à écrire, à documenter le monde comme on le voit et à laisser nos imaginations s’exprimer sur le papier».
Pour Hajar Azell, «il existe et il existera toujours de la matière pour écrire», que ce soit dans une démarche journalistique ou plus créative. Dans le domaine médiatique, elle déplore cependant un manque de spécialisation dans la critique. «Je rêve qu’on en soit là pour permettre au public aussi à développer un regard critique de manière constructive, pour aiguiser le regard et pour que les artistes aient des retours constructifs, qui leur permettront de s’améliorer, au-delà de l’encouragement nécessaire à la création», nous confie-t-elle.
Ph. Onorientour
Le baptème du livre édité
Vivant en France depuis une dizaine d’années, la jeune écrivaine a travaillé pour une entreprise de conseil en technologie pour aider les organisations à adopter des démarches plus participatives et de manière qualitative, en visibilisant la parole citoyenne à travers des forums thématiques et de consultation. Hajar Azell consacre aussi du temps à l’écriture romanesque. Son premier livre édité, «L’envers de l’été», a rapidement conquis les éditions Gallimard. Son ouvrage a connu un franc succès, en France comme au Maroc.
«Ce livre est né à un moment où j’ai ressenti l’envie de raconter ce qu’est le fait de quitter un pays et de n’y revenir que les étés. Le lien aux endroits et le concept de l’attachement change. Je me suis sentie dans cet entre-deux après dix ans de vie en France et j’ai souhaité explorer ces sujets-là.»
Une fois son manuscrit finalisé, Hajar envoie son texte à une dizaine d’éditeurs. Elle est sélectionnée au Prix Voix d’Afriques. «Gallimard a rapidement choisi de m’éditer, je ne m’y attendais pas, j’en ai été surprise et joyeuse à la fois, intimidée au début aussi, jusqu’à vouloir annuler l’édition et préparer un meilleur roman», nous confie-t-elle. «Lorsqu’on est jeune et à son premier livre édité, ce n’est pas toujours facile de se sentir légitime à l’écriture, surtout lorsqu’on n’est pas issu de ce milieu-là, mais on sent en même temps une responsabilité et un devoir de dire les choses», indique l’écrivaine.
Après la sortie du livre, Hajar Azell nous confie avoir été émerveillée par les réactions des lecteurs, qu’elle considère comme «le meilleur cadeau du monde». «Cela me rend fière et me conforte encore plus dans l’importance de devoir écrire nos histoires, que chacun de nous puisse les raconter à sa manière et que nos futurs auteurs ne se demandent plus est-ce qu’il faut justifier de leur parcours pour être aptes à l’écriture», insiste l’écrivaine, en souhaitant encourager les jeunes à tenter l’exercice de l’écriture comme un voyage intérieur.