Jamila a perdu sa mère lorsqu’elle était encore petite. Son père l’a alors confiée à sa belle-sœur et à son mari, un couple sans enfant, au service d’un diplomate français. Elle a ensuite suivi ses parents adoptifs et le diplomate français parti en retraite, qui a décidé d’amener sa femme de ménage dans l’Hexagone. Selon ses confidences au journal La Montagne, elle n’a pas ressenti de différence à son enfance. « Juste une fois, au collège à Bénévent, une fille m'a traitée de négrillonne. Je n'ai pas compris ».
Mais à l’âge adulte, les choses ont changé. « Être française, je sais ce que ça veut dire. C'est la différence dans le regard quand tu montres une carte d'identité ou une carte de séjour », a-t-elle dit. Cette déclaration vient d’un fin connaisseur, elle qui a d’abord eu une carte de séjour avant d’avoir une carte d’identité française.
Rien ne prédestinait la dame née à Taza, il y a 42 ans, a devenir une éleveuse de vaches. D’abord attirée par une carrière au sein de l’armé française, elle ne portera jamais d’uniforme après sa naturalisation. La jeune femme s’est installée successivement à Paris et à Limoges. Mais à chaque fois, elle était mise à l’index. « (…) Ma différence, on me l'a opposée, imposée. Parfois avec les meilleures intentions du monde. Souvent, sans. Mais on me voulait à part alors que je me sentais dedans, intégrée », a-t-elle rappelé.
Jamila Elyagoubi est revenue parmi les siens en Creuse, avec deux enfants après son divorce. Elle fera une nouvelle rencontre et un nouveau départ. Le nouveau compagnon de Jamila, Yves Couty, voulant emboiter les pas de son père, l'embarquera dans son aventure à lui : l’agriculture. Ils passeront ensemble, leur brevet professionnel agricole et feront ensemble les démarches. « Souvent, il y avait des grands yeux surpris quand je débarquais avec notre projet », sourit-elle. Mais elle n’est pas découragée pour autant.
Leur projet est devenu réalité et l’exploitation a vu le jour. Une maladie empêchera Yves Couty de continuer le travail. Mais Jamila Elyagoubi a pris la relève, devenant chef d'exploitation.
Yves Couty a déjà entendu des discours haineux à l’égard des origines de son épouse. Mais il comprend. « Moi, je suis d'Azat-Châtenet (une trentaine de kilomètres au sud de Saint-Sulpice-le-Guérétois). Et je suis déjà un étranger pour certains », a précisé Couty.
Quant à sa femme, elle a relativisé : « Ceux qui pensent ce qu'ils pensent ne sont pas nombreux à le penser et moins encore à le dire. Vous savez, le racisme n'a pas besoin de couleur ». Ce qui la dérange surtout, ce sont « les propos que peut entendre Laura (leur fille) à l'école. Il y en a de plus durs que quand, moi, j'étais enfant. Je pense que c'est dû à l'époque », a-t-elle conclut.