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Grand Angle

Maroc : Bientôt une répartition égalitaire de l’usufruit pour les soulaliyates ?

Trois projets de loi relatifs aux terres soulaliyates ont été approuvés à l’unanimité, mardi au Parlement. S’ils incluent, pour la première fois, les femmes parmi les bénéficiaires de l’usufruit, elles ne prévoient pas expressément de partition égalitaire de ces retombées économiques.

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Photo d'illustration / Ph. DR.
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Mardi dernier aura été une journée historique. Elle marque en effet l’inclusion, pour la première fois, des femmes parmi les bénéficiaires des produits des terres appartenant aux collectivités ethniques (soulaliyates), conformément à trois projets de loi votés en plénière au Parlement marocain.

Parmi ces textes, le projet de loi 62.17 porte justement sur la tutelle administrative sur ces terres ainsi que la gestion de leurs biens. Le second (63.17) est relatif à la délimitation administrative, tandis que le troisième (64.17) porte modification du Dahir 1-69-30 concernant les terres collectives situées dans les périmètres d’irrigation.

Cité par la MAP, le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, Noureddine Boutayeb, a indiqué que ces textes font aboutir une réforme longtemps attendue, sur la base des principes de la Constitution de 2011 et notamment de l’égalité entre hommes et femmes, dans les droits comme dans les obligations.

L’interprétation des textes peut ne pas être égalitaire

Ce texte en lui-même représente une avancée, selon les associations féministes engagées pour la cause des soulaliyates. A leur tête, l’Association démocratiques des femmes du Maroc (ADFM) se félicite de cette nouvelle étape en matière de législation, mais elle souligne auprès de Yabiladi que si l’esprit de ces lois se veut égalitaire, ce principe n’est pas expressément énoncé à travers ses articles.

«Ce combat a beaucoup apporté aux soulaliyates, dont des femmes sont élues dans les régions, notamment le Gharb, occupant ainsi des postes de responsabilité qui leur permettent de défendre leur cause au sein du Parlement, bien que la bataille ne soit pas encore gagnée», nous indique Amina Lotfi, présidente du bureau de Rabat de l’ADFM.

En effet, la militante explique que ce vote «vient couronner dix ans de combat des soulaliyates». Or, elle nuance qu’«après lecture plus affinée de la loi 62.17, il s’avère que cet arsenal juridique ne fait pas mention concrètement de l’égalité hommes-femmes». «Lorsqu’on dit ''jouissance des produits de la terre'' par les hommes et les femmes, sans prévoir expressément qu’elle se fait ''sur un pied d’égalité'', il y a un risque sur des pratiques de contournement», s’inquiète la présidente.

C’est plus précisément l’article 6 du texte qu’Amina Lotfi pointe du doigt. «Nous avions demandé que cet article prévoyant que les membres des communautés, hommes et femmes, jouissent de la propriété collective de l’usufruit, soit complété par l’expression claire ''sur un pied d’égalité'' ou ''un accès égal aux produits de la terre ou à l’usufruit'', ce qui n’a finalement pas eu lieu», déplore la militante.

De ce fait, les espoirs de la militante sont portés sur «une application rapide du texte, avec une lecture égalitaire à travers les décrets d’application, parce que les intérêts économiques et sociaux sont d’une grande importance en matière d’autonomisation des femmes».

Ne pas confondre «bénéfice de l’usufruit» et «égalité successorale»

Amina Lotfi tient à préciser que «ce débat est singulièrement différent de celui sur l’égalité successorale et n’y est aucunement rattaché, comme tendent à le faire certaines personnes en donnant lieu à une grande confusion».

Cette dernière «mérite fort d’être levée», souligne la militante, précisant que «l’égalité dans héritage est relative à la répartition des biens laissés par un proche après son décès», tandis que la répartition égalitaire de l’usufruit «concerne la jouissance du produit de la terre et de ses retombées économiques du vivant de femmes et d’hommes ayant droit à la propriété de la même terre», ce qui «est une différence de taille».

«Nous considérons que l’égalité successorale est une nécessité absolue, mais ce n’est pas sur cela que porte le débat concernant les trois lois récemment votées», indique Amina Lotfi en notant que «nous touchons concrètement et quotidiennement l’impact social des inégalités successorales».

«L’argument ou le prétexte conservateur de ceux qui s’opposent à la jouissance des produits de la terre par les femmes brandit justement la question de l’héritage, qui n’est pas encore résolue, d’où l’importance que cette ambiguïté soit levée», soutient la militante. «Il s’agit ici, encore une fois, de personnes vivantes qui ont le droit d’accéder – de leur vivant – au bénéfice de la terre et des retombées des activités économiques qui s’y font», ajoute-t-elle encore.

Pour Amina Lotfi, «il n’y a aucune raison que cette répartition se fasse au détriment des femmes».

«Lorsque nous avions commencé ce combat avec les soulaliyates, les hommes étaient les seules à percevoir cet usufruit et les femmes étaient lésées, puisqu’elles ne bénéficiaient pas des retombées des activités investies sur ces terres, ce qui les appauvrissait au fil des ans et les reléguait même aux bidonvilles, lorsque se faisaient des investissements immobiliers ou agricoles sur ces terres.»

Amina Lotfi - ADFM

En termes de pratique, la présidente du bureau de Rabat de l’ADFM précise que «seuls des parlementaires qui se basent sur un référentiel de droits humains, sur un contexte actuel tenant compte de l’évolution de la société marocaine et de la mutation familiale, auront une sensibilité aux questions d’égalité».

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