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Grand Angle

Djihadisme : Des profils multiples qui répondent à des objectifs variés

Entre marginalisation, recherche d’une société meilleure ou d’une reconnaissance de leur identité religieuse, les motifs de départ des djihadistes, français en l’occurrence, sont multiples. Car tous n’ont pas le même objectif.

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Photo d'illustration. / Ph. Tous droits réservés (RTBF)
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Deux jeunes femmes adultes, Janna C. et Djelika S., ont comparu vendredi 12 juillet devant le tribunal correctionnel de Paris pour «association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes terroristes». Pendant plus de dix heures, durant le procès, les juges ont tenté de retracer l’itinéraire de ces deux jeunes femmes radicalisées, entre souffrance et aspiration à la violence, indique le journal Libération.

Contrastant avec l’extrême violence de leurs propos, la posture dont elles ont fait preuve à la barre a, en réalité, trahi leur vulnérabilité psychologique. La première est décrite par son entourage comme une «jeune fille en perdition», souligne la même source, tandis que Djelika évoque des tendances dépressives et des accès suicidaires. Toutes deux ont reconnu avoir rallié une communauté virtuelle sur Telegram en quête de soutien et d’entraide, pour «partager leurs peines» et «parler de tout et de rien». Janna C. a confié avoir voulu puiser dans la radicalité un environnement structurant qu’elle n’a jamais trouvé au sein de sa famille.

En filigrane se pose la question des profils des jeunes tentés par la radicalisation djihadiste. Par quels ressorts psychologiques sont-ils animés ? D’où viennent-ils ? Quels sont leurs parcours de vie ? Dans une revue de littérature intitulée «Radicalisations et jeunesses», publiée en mars 2018 par l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), la chercheuse Isabelle Lacroix fait état d’une note confidentielle de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste. Selon cette dernière, les 265 djihadistes français (257 hommes et 8 femmes), morts en Irak et en Syrie, sont majoritairement issus de quartiers dits «prioritaires» (56% de ces djihadistes y résidaient avant leur départ). De plus, 52% des combattants français morts dans les rangs de Daech sont des descendants d’immigrés, tandis que 24% n’ont pas de lien avec l’immigration. Plus de la moitié d’entre eux avaient des antécédents avec la gendarmerie ou les services de police pour des faits de délinquance.

Des jeunes en quête d’une reconnaissance de leur identité musulmane

Isabelle Lacroix souligne que «l’Unité de coordination de lutte anti-terroriste (UCLAT) établit une "corrélation certaine entre cumul des inégalités sociales, économiques et scolaires, et foyers de radicalisation"». La chercheuse émet également l’hypothèse que le profil sociodémographique des jeunes engagés dans la cause djihadiste définisse le degré de leur engagement : «ceux qui partent en Syrie, qui s’engagent sur le front, et donc parmi lesquels le taux de décès est plus important, sont ceux qui ont été le plus confrontés aux inégalités sociales dans leur propre pays.»

«Parmi les individus qui partent rejoindre Daech figurent effectivement des profils en proie à une forte marginalisation», confirme à notre rédaction Montassir Sakhi, auteur d’une thèse intitulée «Être et faire en Etat islamique. Pourquoi et comment des djihadistes français et marocains s’engagent avec Daech». «Cette marginalisation extrême soulève la problématique de la banlieue comme étant une marge sociale, politique et économique, où l’islam vient tenter de proposer une forme de réaffirmation sociale. Les discours qui sont véhiculés dans ces zones marginalisées font état d’une expression islamiste radicale qui propose une rupture avec la société, pour aller fonder un autre Etat où des jeunes de cette marge qui sont affiliés à l’islam puissent vivre en autarcie, loin des politiques qui ont abouti à cette marginalisation», ajoute-t-il.

Citant les chercheurs britanniques Margarita Bizina et David Gray, auteurs d’une étude intitulée «Radicalization of Youth as a growing concern for counter-terrorism policy» («La radicalisation de la jeunesse : une préoccupation croissante pour la politique antiterroriste» – 2014), Isabelle Lacroix questionne «les conséquences de la discrimination envers la communauté musulmane et l’islamophobie grandissante dans différents pays européens sur les processus de radicalisation de ces jeunes». Sur ce point, Montassir Sakhi décrit en effet une autre catégorie d’individus qui se rallient au djihadisme : non pas ceux qui cherchent à fuir une misère sociale, mais plutôt «une forme de racisme qui existe sur la base de l’islamophobie».

«Ils partent non pas en quête d’une société complètement différente, mais uniquement pour la reconnaissance de cette identité de l’être musulman. En France, leurs choix religieux peuvent être stigmatisés. Ils partent donc non pas en quête d’une société complètement différente, mais uniquement pour la reconnaissance de cette identité de l’être musulman qu’ils pensent retrouver dans un Etat de l’islam.»

Montassir Sakhi

Une question d’interprétation plutôt que de connaissance des textes

Dans une autre étude publiée en avril 2018 par l’Institut français des relations internationales (IFSI), intitulée «137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice», le chercheur et docteur en sciences politiques Marc Hecker relève «le faible niveau de connaissances religieuses des jeunes s’engageant dans le djihadisme». Il cite à cet effet le sociologue Farhad Khosrokhavar : «Ce n’est pas une connaissance préalable profonde de l’islam qui induit la radicalisation religieuse dans les banlieues, mais bien au contraire une inculture profonde qui provoque un effet de crédulité accentuée, une forme de naïveté résultant de la méconnaissance voire de l’ignorance de l’islam qui joue en faveur de l’extrémisme religieux.»

Sur ce point, Montassir Sakhi nuance. «Tout est question d’interprétation. On ne peut pas dire qu’il y a des gens qui connaissent la religion et d’autres qui ne la connaissent pas. La religion, c’est aussi une histoire de point de vue sur le monde», estime le chercheur. Pour lui, «la question ne se pose pas de chercher à comprendre la religion. Celle qui doit être posée, c’est plutôt le chemin qui est promis par une expression ou une interprétation religieuse en particulier. L’ensemble des musulmans connaît les textes religieux ; il y a une expression religieuse diverse. Ce n’est pas la connaissance ou au contraire la méconnaissance de la religion qui fait que les gens vont partir ou pas.»

Enfin, Montassir Sakhi identifie un troisième profil, d’après ceux qu’il a identifiés sur le terrain, à la rencontre des familles ou lors des procès : ceux qui s’inscrivent dans une quête de sens. «Ce sont des enfants issus de la classe moyenne dont les parents ont une fibre politique assez affirmée. Ces enfants font souvent le lien avec l’absence de sens dans une société capitaliste où l’humain est réduit à des injonctions, à des ordres administratifs, bureaucratiques. Ils dénoncent une société métro-boulot-dodo marquée par une absence du collectif ; de capacité du collectif à se prendre en charge et à répondre aux questions sociales, ce qui signifie une présence permanente de l’Etat dans la gestion de l’humain.»

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