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Grand Angle

Maroc : La biodiversité à l’heure des challenges, après les données alarmantes de l’IPBES

Un million d’espèces animales et végétales risque de disparaître à brève échéance de la surface de la Terre ou du fond des océans. Cette dégradation de la biodiversité à l’échelle mondiale n’épargne pas le Maroc.

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15% de la biodiversité marocaine, faune et flore, est menacée. / DR
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Le Maroc est-il à la hauteur en matière de préservation de la biodiversité ? La question tombe à pic, alors que la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a fait état, lundi à Paris, à l’adresse des gouvernants et des populations, d’une réalité alarmante : un million d’espèces animales et végétales – soit une sur huit – risque de disparaître à brève échéance de la surface de la Terre ou du fond des océans, indique Le Monde.

Au Maroc, les chiffres sont tout aussi inquiétants : 15% de sa biodiversité, faune et flore, est menacée. Fin 2018, le Haut-Commissaire aux eaux et forêts et à la lutte contre la désertification, Abdeladim Lhafi indiquait à l’agence MAP que la demande en bois comme source d’énergie est le double de ce que la forêt peut fournir annuellement. Selon le responsable, la forêt marocaine produit environ 3,25 millions de tonnes de bois par an, alors que les besoins du monde rural se chiffrent à près de 6 millions de tonnes. Ce gap pourrait être comblé par les opérations de reboisement estimées à 50 000 hectares par an et par la distribution, au profit des populations rurales, de 60 000 fours améliorés pour 60 millions de dirhams entre 2015 et 2024. Autre donnée alarmante : une quarantaine d’espèces animales font face à une menace d’extinction, notamment le porc-épic, la hyène rayée, la gazelle dama, le phoque moine, le lynx caracal, le chat sauvage, le ratel et l’écureuil du Sénégal.

Pour Yasmina Bahloul, coordinatrice de l’Unité de recherche sur l’amélioration des plantes, la conservation et la valorisation des ressources phytogénétiques à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), «ces menaces s’expliquent car tout est lié à des écosystèmes : les changements climatiques impactent les modes de vie des animaux et des végétaux», nous dit-elle. Dans un rapport présenté en février dernier, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) soulignait qu’en plus de l’urbanisation, «l’expansion rapide de la population dans des zones riches en biodiversité pour l’alimentation et l’agriculture, l’élimination du sable et des roches de sites tels que les dunes côtières et les lits d’oueds destinés à la construction entraînent la perte d’habitats et des espèces qu’ils abritent».

«Recadrer» l’écotourisme

Yasmina Bahloul nous explique également que «l’extension des réserves peut se faire au détriment d’autres espèces. L’intégration de nouvelles espèces est parfois envahissante et se développe aux dépens d’espèces déjà présentes dans ces réserves. Elles sont beaucoup plus concurrentes et poussent les autres espèces à s’effacer peu à peu. C’est toute une biodiversité et un ensemble de systèmes écosystémiques qui se trouvent chamboulés».

Autre épine dans le pied de la biodiversité : le tourisme, voire parfois l’écotourisme. Yasmina Bahloul s’inquiète notamment de l’organisation d’activités touristiques et sportives dans le désert, dont les rallyes, l’installation de bivouacs et les balades en quad, avec toute l’infrastructure qu’elles nécessitent, «qui met en péril la survie de certaines espèces car celles-ci ne se retrouvent plus dans leur écosystème naturel. Dès lors, on perd l’équilibre qu’on avait auparavant, avant l’apparition de ces activités». La coordinatrice plaide pour un «recadrement» de l’écotourisme au Maroc. Elle insiste : «Le désert ne se résume pas à du sable à perte de vue ; c’est un écosystème en lui-même qui abrite des espèces endémiques qui ne se développent que dans certaines zones du désert, et que l’on retrouve donc à petite échelle.»

Pour la création d’un observatoire national de la biodiversité

Au niveau national, les efforts sont encore timides. Il y a bien la Stratégie et le plan d’actions national pour la diversité biologique du Maroc (2016-2020), la création, en 2002, d’une banque de gènes pour conserver le maximum d’espèces végétales, la Convention internationale sur la diversité biologique, dont le Maroc fait partie, ou encore le Programme national d’économie d’eau en irrigation (PNEEI) et, à l’échelle du quotidien, l’interdiction des sacs plastiques, mais les efforts doivent être «mutualisés», estime Yasmina Bahloul. «Il faut renforcer les capacités avec des projets d’intégration de la notion de biodiversité dans les programmes scolaires et encourager les ONG qui œuvrent dans ce domaine. Il en va de la responsabilité de tous», ajoute-t-elle.

Sur le terrain, les besoins se font également ressentir. «Il y a encore du travail à faire, la question de la biodiversité n’est pas suffisamment traitée d’une façon opérationnelle. Nous manquons de données concernant les espèces. Nous avons aussi besoin de plans régionaux sur la préservation de la biodiversité car c’est un enjeu qui varie d’une région à une autre, certaines étant plus vulnérables que d’autres», nous dit pour sa part Lotfi Chraibi, président de l’Association marocaine pour un environnement durable (Amed). Ce responsable associatif propose notamment la création d’un observatoire national sur la biodiversité. Sans ça, estime-t-il, les avancées suggérées sur papier ne pourront se concrétiser.

Le président de l’Amed relève malgré tout la «volonté du gouvernement de jouer ce rôle de leadership dans le domaine environnemental. Il y a un positionnement stratégique sur la question de la biodiversité». Il en veut pour preuve l’organisation, au Maroc en 2021, de la prochaine session de la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. En espérant là encore que les mesures annoncées ne restent pas couchées sur papier glacé.

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