Tout le monde s’attendait à ce que le général Haftar s’empare de Tripoli en quelques heures. Finalement, plusieurs milices se sont unies contre lui, mettant fin à ses plans. Pourquoi selon vous ?
Les événements en Algérie ont mélangé ses cartes et l’ont poussé à écouter la France. Celle-ci, se rendant compte qu’elle a déjà perdu un pied en Algérie et voulant se maintenir en Libye, l’a incité à attaquer Tripoli avant la rencontre des fractions pour prendre le contrôle de la capitale. La France espérait mettre la pression aux généraux algériens à travers Khalifa Haftar. Ce dernier avait des hommes de confiance à Tripoli et dans d’autres tribus. Tous sont des mercenaires.
Il avait donc une importante force pour conquérir la capitale, en l’attaquant sur plusieurs fronts. Il est aussi soutenu par la France puisque selon les informations dont disposent certains experts militaires, des généraux français assistaient le général et le conseillaient avec notamment des technologies de pointes.
Seulement, Haftar a été surpris, dès le premier jour, d’une résistance acharnée de la part des milices de Zawya, qui ont arrêté plus de 125 soldats du général Haftar et saisi plus de 45 voitures militaires offertes par les Emirats arabes unis.
Finalement, s’il a réussi une chose, c’est qu’il a fini par unir toutes les autres fractions de la région occidentale contre lui, ce qui n’a pas été entrepris par les séminaires, les congrès et les rencontres internationales finalement. Ses menaces, ses frappes contre des civils et ses mercenaires ont poussé des milices à faire front uni pour défendre la capitale alors qu’il avait lui-même misé sur une guerre civile entre ces groupuscules armés.
Actuellement, même au sein de sa propre tribu, une fraction armée qui s’appelle Groupe El Borki a rejoint les milices de Tripoli.
Abdelkrim Faouzi. / Ph. DR
Quelle est la situation actuelle en Libye ?
Actuellement, les milices de Tripoli ont réussi à chasser l’armée de Khalifa Haftar de toute la banlieue de Tripoli qui s’éloigne de 30, 40 ou 50 kilomètres de la capitale. Alors qu’il était à Al Aziziya (30 km de Tripoli), Tarhounah et Garian, ses mercenaires se sont retirés de ces positions.
Aujourd’hui, les milices de Tripoli ont pris le contrôle de la base militaire Tamanhint (Sud de Tripoli). Toutes les milices sont décidées à en finir avec le général Haftar.
Les soutiens du général libyen, dont les Emirats et l’Arabie saoudite, tentent de prolonger la guerre en Libye. Il y a deux jours, Abou Dhabi a fourni à Khalifa Haftar de nouvelles armes et des avions sans pilotes pour bombarder Tripoli. Et même l’autre partie dispose de soldats qualifiés et d’une base militaire à Misrata.
Je pense que la balance penchera du côté du gouvernement d'entente nationale, car il défend l’unité de la Libye. Haftar ne dispose pas d’une réelle armée. Ce ne sont que des mercenaires qui ne marchent qu’avec une contrepartie financière. Les Libyens ont vu son vrai visage et il est désormais déclaré persona non grata.
Comment vous décrypter la réaction tardive du Maroc ?
Cela fait plusieurs jours que le Maroc devait réagir à la crise actuelle en Libye. Mais le timing n’est pas si mauvais. Les politiques veulent toujours prendre du temps et du recul, car les premiers indices indiquaient que le général Khalifa Haftar allait s’emparer de Tripoli en l’espace de quelques heures. Personne n’avait donc l’audace ni le courage de réagir en soutenant l’une des parties.
Malheureusement, il y avait une rencontre prévue entre les différentes fractions. Et Haftar avait toutes les chances de peser sur cette réunion.
Les conditions sont-elles réunies pour un dialogue libyen pour sortir de cette crise et éventuellement une nouvelle médiation marocaine ?
Pour moi, c’est le moment ou jamais pour poursuivre l’accord de Skhirat et de relancer le dialogue entre Libyens car le Maroc, et contrairement à d’autres puissances mondiales et régionales, ne s’est impliqué avec aucune fraction. Le royaume a gardé ses mains propres. De plus, il est respecté par les Libyens de l’Est et de l’Ouest.
Le Maroc est aussi à l’origine de l’initiative de Skhirat, sans interférer avec les décisions politiques des différentes fractions. De plus, il a toujours défendu l’unité de la Libye, en dénonçant la violence et en critiquant l’ingérence étrangère.
Les conditions sont idoines pour remettre sur la table l’option d’un nouveau round de dialogue entre Libyens puisqu’il s’avère que l’accord de Skhirat a été la seule option pacifique pour unir Libyens et renforcer la sécurité et la stabilité de ce pays du Maghreb. Il faut donc s’activer pour accueillir un «Skhirat 2».