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Grand Angle

Taroudant : Réaction «disproportionnée» des autorités dans une affaire complexe ?

Depuis fin janvier, des personnes âgées appartenant à une association locale sont emprisonnées à Taroudant sur fond d’opposition à un projet forestier décidé par les autorités. Un dossier complexe avec de multiples intervenants.

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Image d'illustration. / DR
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Le tribunal de première instance de Taroudant a refusé cette semaine d’accorder la liberté provisoire à trois personnes poursuivies pour s’être opposées à un projet forestier.

«Lors de l’audience du mardi, le juge a accordé la liberté provisoire à un deuxième octogénaire, alors qu’il l’a refusée pour les trois autres personnes en détention», nous confie Mohamed A., fils de l’un des trois hommes. Ces derniers tout comme leurs familles gardent espoir de voir leur demande de liberté acceptée mardi prochain, lors de la prochaine audience.

A l’origine de cette affaire, l’arrestation, fin janvier, de cinq personnes, toutes issues d’une association d’éleveurs qui ont protesté, avec un groupe de plus de 60 personnes, contre un projet forestier dans la commune rurale Ida-Ougoummad (caïdat d'El Faid), située dans la province de Taroudant.

Les éleveurs dénoncent un projet les impactant

Driss A., dont l’oncle est arrêté dans cette affaire, est un habitant de cette commune. Contacté par Yabiladi, il nous explique «après un premier projet, une association des soi-disant ayants droits veut un deuxième projet similaire visant à assiéger une partie de la forêt». «Au sein de cette structure, il n’y a que trois personnes qui peuvent se revendiquer comme telles, et qui ont déjà assiégé leur partie de la forêt», dénonce-t-il. Driss A. ajoute que «dans la partie nord d’Ida-Ougoummad, aucun ayant droit ne veut de ce projet, étant tous des éleveurs».

«Il y a une route entre les deux parties de la forêt. Nous n’avions rien fait lorsqu’ils ont assiégé leur partie, même si cela nous a interdit l’accès à la source d’eau. Maintenant, ils veulent passer aussi dans la partie supérieure, alors qu’ils ne sont pas les ayants-droit de cette terre.»

Driss A., habitant à Ida-Ougoummad

Il rappelle aussi que l’Association d'éleveurs et propriétaires des pâturages, «qui représente les villageois de toute la partie supérieure, milite depuis 2013 contre ces projets qui impactent fortement la vie de la population locale». L’occasion pour lui de dénoncer la démarche des autorités face à des revendications «justes» de la population. «Nous avons simplement exprimé notre opposition à ce projet et demandé nos droits. Mais les autorités nous ont convoqué avant d’arrêter cinq personnes», nous confie-t-il, dénonçant une «injustice». «Le gouverneur de Taroudant, qui nous a reçu, nous a promis de régler ce problème et mettre en place une commission. Depuis notre marche vers Taroudant, rien n’a été fait», s’insurge-t-il.

Les Eaux et forêts reconnaissent un «conflit» entre villages

Abdelhak Sefriti, Directeur provinciale des eaux et forêts et de la lutte contre la désertification à Taroudant, nous rappelle pour sa part que la «demande du projet [leur] a été parvenue par les ayants droits pour assiéger et planter des arganiers». «Après avoir fini une première tranche de 50 hectares, des villageois sont venus pour s’opposer au projet. Ils ont commencé à endommager les trous forés, ce qui a poussé l’entrepreneur à déposer une plainte contre ces personnes», nous explique-t-il.

«Il s’est avéré qu’ils ne sont pas des ayants droits et ils ont refusé de stopper leur manifestation contre le projet. Ils ont donc été interpellés. Il s’est avéré aussi que les ayants droits, ne disposant pas de cheptel, avaient laissé ces éleveurs exploiter la terre, circuler librement dans la zone et ramener leurs bétails pour pâturer.»

Abdelhak Sefriti, Directeur provinciale des eaux et forêts à Taroudant

Le responsable précise que son département «respecte le seuil de 5%» dédié aux plantations, rappelant que «les 100 hectares qui seront occupés ne représentent même pas 0,5% de l’ensemble de cette forêt».

«Il me semble qu’il y a des conflits autour de cette forêt. Nous avons tenté de négocier avec eux mais ces personnes sont manipulées», nous déclare-t-il, notant que «les ayants droits veulent ce projet et [le] contacte de façon quotidienne pour qu’il soit maintenu». Mais en attendant, le projet reste en standby jusqu’à ce que le tribunal se prononce sur cette affaire, conclut-il.

Les ayants droits disent vouloir «faire bénéficier» tout le monde

Contacté également par Yabiladi, Hassan Liriki, membre de l’Association provinciale des ayants droits et des exploitants d’argan à Taroudant, qui représente aussi la section locale de cette association à Ida-Ougoummad, souligne que ce deuxième projet «est loin des villages de ces personnes arrêtées». «Ce sont les ayants droits issus de trois douars qui ont demandé l’assiègement de la forêt et la plantation et la protection de l’arganier», rappelle-t-il, rejoignant ainsi la version du directeur provincial des Eaux et forêts à Taroudant.

«Pour le deuxième projet, l’entrepreneur a travaillé pendant un mois et demi mais a été interrompu par des villageois venus de douars situés à plusieurs kilomètres de la zone. Après le vandalisme ayant concerné les futures plantations, les Eaux et forêts ont déposé une plainte, tout comme l’entrepreneur qui estime avoir été lésé et les ayants droits.»

Hassan Liriki

C’est cette association qui a signé un mémorandum avec le département des Eaux et forêts pour la mise en place des deux projets. Seulement, durant le meeting ayant réuni les deux camps – les éleveurs et les ayants droits avant l’interpellation – un ayant droit a exprimé son opposition au projet. «Sa partie a finalement été retirée du projet et ne sera pas assiégée», nous informe Hassan Lirki.

Pour ce dernier, «ceux qui se plaignent du projet savent que la forêt s’étend sur 10 000 hectares alors que les deux projets ne concernent que 200 hectares au total». «De plus, si l’Etat n’accepte pas de procéder à la plantation d’arganiers et pour protéger la forêt, les ayants droits peuvent le faire eux-mêmes, sur la partie qu’ils exploitent, même si cela ne se passera pas sans incident», nous lance-t-il.

Hassan Liriki rappelle aussi que ces deux projets «doivent permettre le développement des villages avoisinants avec d’autres projets comme des routes permettant de mettre en place un transport scolaire, des projets d’apiculture en plus de bénéficier de 350 dirhams annuel pour chaque hectare». «Seulement, si les éleveurs s’opposent à ces projets, ni eux ni les ayants droits ni même les villages avoisinants ne pourront bénéficier des retombés», regrette-t-il.

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