Avant de devenir l’un des Sept Saints de Marrakech, Abou Yaacoub Sidi Youssef Ben Ali Sanhadji était un jeune marrakchi atteint de la lèpre. Né et ayant toujours grandi dans la ville ocre, il souffrira du rejet de sa famille et de son entourage avant de décider d’aller vivre dans une grotte près de Bab Aghmat à l’Est de Marrakech.
Peu d’information existe sur son parcours. En revanche, plusieurs historiens et auteurs se sont intéressés à sa maladie et aux mythes qui entouraient ce personnage. «Il étudia les sciences religieuses sous la direction d’Abou Ousfour, soufi de Marrakech et disciple du Cheikh Abou Azza», raconte le docteur Mohamed Knidiri dans «Histoire, patrimoine, culture et spiritualité», (Ouvrage du Consortium Mountada, publié en 2011).
«Il s’est distingué par sa patience, sa résignation en face de l’épreuve difficile qu’il a vécu en étant atteint par la lèpre : c’est ce qui lui vaut d’être respecté par la population et rehaussé au niveau des saints. Il passa sa vie dans le quartier des lépreux à l’extérieur de Bab Aghmat.»
Un saint comparé au prophète Ayoub
Malgré son jeune âge, Youssef Ben Ali Sanhadji, originaire des tribus arabes Himyar du Yémen, est affecté par une maladie connue de l’époque. La lèpre avait poussé les autorités makhzaniennes de l’époque à dédier un quartier spécial à l’extérieur de Marrakech aux personnes atteintes de cette maladie infectieuse. L’érudit, lâché par sa famille et son entourage, décide alors de s’installer plutôt dans une grotte à l’extérieur des murailles de la ville ocre où il passera seul la majorité de sa vie. Sa résilience et sa patience lui vaudront d’être comparé à Ayoub, le prophète cité dans le Coran qui restera inébranlable, patient et fidèle à Dieu malgré ses souffrances physiques et morales.
Ainsi, le fait que l’érudit marrakchi a pu résister à la maladie et au sentiment de rejet qu’il éprouvait aurait amplifié sa réputation. «Sidi Youssef Ben Ali était visité de son vivant par un grand nombre de savants, de dévots et d’ascètes qui entreprenaient des voyages parfois depuis l’Andalousie pour le rencontrer», racontent Hamid Triki et Alain Dovifat dans «Medersa de Marrakech» (Editions Eddif, 1999). «Lorsqu’il arrivait à ce saint de perdre un lambeau de sa chair, il offrait un banquet pour rendre grâce à Dieu», ajoutent-ils.
Ainsi, au VIe siècle de l’hégire, Sidi Youssef Ben Ali devient l’exemple même du soufi dévoué ayant choisi la méditation et la prière pour surmonter les difficultés de la vie. De quoi susciter aussi la curiosité de certains. Selon le récit rapporté par la revue Oloum Wa Omran, qui cite un ouvrage de Mohamed Sghir El Ifrani, c’est à l’époque du sultan almohade Abou Yaacoub Youssef qu’un groupe d’intellectuels et d’hommes influents à Marrakech décide de rendre visite à Youssef Ben Ali dans sa grotte à Bab Aghmat pour le consulter sur une affaire politique.
Un guérisseur des enfants troublés selon la légende
A l’époque, le sultan almohade était tellement mauvais que la population locale commença à s’en plaindre. Le groupe aperçoit alors l’érudit qui était assis sous le soleil, alors que des mouches entouraient ses pieds infectés par la maladie. «Il leur fera signe de s’arrêter à une certaine distance, les mettant en garde contre tout mouvement brusque pour ne pas faire fuir ces mouches qui seront remplacées par d’autres plus affamées», raconte Mohamed Sghir El Ifrani. Le groupe interprétera vite qu’il s’agit d’un «message politique avisé mettant en garde contre l’éviction du sultan almohade de peur à ce que son successeur ne soit plus cruel que lui».
Même après sa guérison, son attachement envers les personnes atteintes de sa maladie et sa générosité vis-à-vis d’eux lui vaudront une reconnaissance locale mais aussi nationale.
L’érudit décède en 1196 et est enterré dans la grotte lui ayant servi de maison depuis de longues années. «Au début, il fallait descendre dans la grotte par un escalier pour arriver à sa tombe. Mais vers 1134 de l’hégire (1721), des inondations pousseront les autorités à rétablir cette tombe et construire un mausolée
Le quartier des lépreux sera, lui, délocalisé sous les Saadiens vers Bab Doukkala dans un quartier que les Marrakchis appellent jusqu’à aujourd’hui El Hara.
Au fil du temps, les autorités de la ville réaménageront le mausolée, de façon à le faire sortir de la grotte. L’«inhumé de la grotte» ou Moul Lghar, comme l’appelle aujourd’hui la population locale est aussi la destination favorite des parents dont les enfants souffriraient de troubles ou d’agitation. Par groupe, ils sont enfermés pendant de longues minutes dans la grotte où se repose le saint. Une démarche qui aiderait, selon la légende, à les guérir de leurs maux.