Rarement mentionnée par les historiens, son existence fut retracée, dans un premier temps, à travers des brèves de journalistes français présents au Maroc durant la seconde moitié du XIXe siècle. A ce moment-là, le Maroc était encore partagé entre territoires soumis au pouvoir central de Hassan I (1873 – 1894) et ceux de Bled Siba, qui ne connaissaient pas l’influence du sultan.
Le Rif en fit partie et dans cette région, Rqia Bent Hadidou était même connue pour avoir attaqué un convoi de Hassan I, en plus d’un détachement du général français Auguste-Adolphe Osmont qui servait alors en Algérie. Cependant, les éléments biographiques sur sa vie, son enfance et son entourage familial ne font partie que de la tradition orale propre à Aït Zedeg.
Une guerrière incomprise des voyageurs coloniaux
Dans son ouvrage «Femmes politiques au Maroc d’hier à aujourd’hui» (éd. Tarik, 2013), la chercheuse Osire Glacier fait abstraction de nombre d’éléments biographiques difficiles à vérifier, mais elle met en avant les aspects guerriers de la vie publique de Rqia Bent Hadidou.
Elle remonta à quelques écrits journalistiques produits à propos de cette figure historique, essentiellement par Gabriel Charmes dans son livre «Une ambassade au Maroc» (Paris : Claman Lévy, 1887). Celui-ci ne la présentait pas comme la combattante qu’elle était, ce qu’explique l’auteure du livre :
«Malgré ses moyens militaires limités en comparaison avec ceux de l’empire colonial français, Rqia Bent Hadidou s’engage dans les luttes anticoloniales armées. Or, loin de la glorifier pour son engagement dans la résistance armée, ou plus modestement la percevoir comme telle, Charmes la présente comme une personne ayant des idées fantasques et disjointe.»
Ainsi, Osire Glacier dressa le portrait de l’héroïne rifaine, à la lumière des considérations sociales et politiques à prendre nécessairement en compte :
«Quand on prend en considération le contexte social de l’époque, [Rqia Bent Hadidou] se révèle être une femme extraordinaire à plus d’un égard. D’abord, [elle] réussit à être caïda à une période où les structures patriarcales restreignent les activités des femmes à la sphère privée. Ensuite, malgré ses soixante ans passées, elle monte à cheval et guerroie avec une habileté et une agilité exceptionnelles. Elle a même failli mettre en péril la vie du sultan, lors de son retour d’Oujda.»
De cette version des faits, Gabriel Charmes retint les aspects révolutionnaires de l’action de Rqia Bent Hadidou, qu’il présentait plutôt comme une personne inconsciente de la portée de ses actes, ce que réfute Osire Glacier. Dans le temps, le journaliste écrivit :
«Dans un de ces engagements, emporté par son courage, [Hassan I] s’avança tellement qu’il faillit être entouré. Son cheval fut tué, sa troupe prit la fuite. Appuyé contre un rocher avec quelques fidèles, il tint tête à l’ennemi jusqu’à ce qu’un caïd vint lui amener un cheval pour s’éloigner. Cette expédition avait, d’ailleurs, quelque chose de romanesque. Le principal adversaire du sultan était une héroïne berbère qui commandait la tribu montagnarde des Aït Zedeg (…) L’idée lui vint d’aller attaquer le petit détachement français du général Osmont ; plus tard, elle songea à enlever le sultan, et celui-ci ne dut certainement son salut qu’à sa bravoure personnelle.»
Réhabiliter la figure féminine en temps de guerre
Plus loin, Osire Glacier analysa ce registre de langues. Elle nota que les expressions «l’idée lui vint» et «plus tard, elle songea», en plus de l'absence de transition entre les motivations de son action contre Osmont et Hassan I sans expliquer le lien entre ces deux personnages historiques et les raisons de l’attaque les visant, «suggèrent au lecteur que Hadidou serait une personne sujette à des caprices belliqueux».
Dans un contexte politique et social où les femmes furent quasiment absentes de la sphère publique, l’historienne explique que Rqia Bent Hadidou avait battu en brèche «les limites imposées à son sexe par les structures sociales patriarcales». En effet, la guerrière rifaine dût faire ses preuves en confirmant son efficacité à diriger une tribu, à défendre son autonomie ainsi que son intégrité territoriale.
Pour ce faire, Rqia Bent Hadidou montra qu’elle était une femme dotée de sagesse, de «sens de la justice et d’excellentes stratégies guerrières», indiqua Osire Glacier, notant même que bent Hadidou dirigea des conseils de guerre à Aït Zedeg. Par ailleurs, la chercheuse expliqua que les attaques évoquées par Charmes avaient plutôt pour but de «protéger l’autonomie de la tribu». Elle le démontra par ces mots :
«Si le sultan règne sur la totalité du Maroc, son autorité est purement nominale, entre autres au sein de nombreuses tribus du Rif et de l’Atlas. Aussi, celles-ci refusent d’être gouvernées par le makhzen, d’accueillir un quelconque fonctionnaire de l’Etat dans leur territoire, de payer des impôts et de mettre à la disposition du sultan un contingent militaire au besoin. Néanmoins, le sultan organise occasionnellement des raids contre les tribus pour y prélever des impôts.»
Il en ressort que Rqia bent Hadidou défendit sa tribu autogestionnaire par les armes, sous les menaces du pouvoir central. Un combat qui s’opéra au moment où l’œuvre de Charmes renseignait «largement sur l’esprit colonialiste de l’époque», à travers un regard porté sur «les indigènes».
Cette dialectique «de supérieur à inférieur», rappela l’historienne, dépossédait les populations locales de leurs ressources, d’autant plus qu’en 1884, la menace coloniale devait être constamment prise en compte dans les stratégies militaires de Rqia Bent Hadidou, au risque de voir périr l’autonomie de sa tribu.