Embauchées cette année pour la cueillette des fraises dans le sud de l’Espagne, et en proie à des conditions d’une «grande vulnérabilité», huit Marocaines ont dénoncé des situations de harcèlement au travail et à caractère sexuel, ainsi que des viols ou tentatives de viol, a rapporté mercredi l’agence France-Presse.
L’AFP est allée à la rencontre de ces mères de familles qui se trouvent toujours en Espagne. Dans un reportage, elle relaie leurs témoignages ainsi que ceux de leurs avocats. A Huelva, province méridionale qui fait de l’Espagne le premier producteur de fraises en Europe, les investigations judiciaires ont été lancées fin mai. Au moins 12 plaintes ont été enregistrées, selon le parquet provincial.
Des saisonnières marocaines «réfugiées» à Malaga
Théoriquement, les contrats de trois mois des saisonnières marocaines prévoient un salaire de 39 à 40 euros pour 6h30 de travail par jour, avec un repos le dimanche. Or, une fois arrivées dans les champs, elles ont été soumises à des règles bien différentes. «A notre arrivée, on nous a dit que c’était la deuxième récolte et qu’on serait payées au rendement : 0,75 euro la cagette de 5 kilos», assure sous couvert d’anonymat une des plaignantes. Celle-ci assure qu’il fallait «cueillir les fraises très très vite» sous peine d’être privé de travail plusieurs jours. Même l’hébergement, censé être gratuit, leur aurait été ponctionné.
«Le contrat prévoit aussi un logement gratuit mais on dormait à six dans un préfabriqué très rudimentaire, pour lequel on nous retirait trois euros par jour.»
L’AFP a également rencontré des Marocaines «réfugiées dans une maison de la province voisine de Malaga, où elles sont invitées à séjourner par le Syndicat andalou des travailleurs (SAT) qui les soutient». Cinq ont porté plainte, les autres assurent vouloir le faire.
«Venues d’Errachidia, de Bouarfa, Berkane, Guercif ou Chefchaouen, ces femmes de 23 à 35 ans au visage triste sont toutes mères de jeunes enfants», poursuit le reportage. Certaines disent regretter de n’avoir travaillé cette année que 23 jours après s’être «endettées pour payer passeport, visa et démarches pour décrocher le contrat de trois mois».
«Charifa, 23 ans, éclate soudain en sanglots quand elle dit : ‘‘personne ne nous défendait en tant que femmes’’, en assurant que le chef ‘‘proposait 50 euros pour des relations’’ (sexuelles). Le silence se fait quand Fadila, 29 ans, raconte le jour où elle a cru pouvoir accepter que ‘‘le chef’’ la transporte en voiture: ‘‘j’ai dû lutter avec lui sur le siège avant, il m’a étreinte et embrassée de force, m’a touché les seins et...’’, dit-elle, sans poursuivre.»
Le ministre et la MAP évoquent de «bonnes conditions»
Malgré les propos des saisonnières marocaines relayés par l’agence française et la presse espagnole depuis plusieurs semaines, Mohamed Yatim, ministre du Travail et de l’insertion professionnelle persiste et signe. Alors qu’il avait déjà reconnu l’existence de cas de harcèlement, le responsable gouvernemental a déclaré mardi, depuis Tanger, que la période de travail des saisonnières marocaines à Huelva cette année s’est déroulée dans de «bonnes conditions».
Depuis le port de Tanger où une délégation de son ministère et de l’Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences (ANAPEC) supervise l’opération de retour des travailleuses au Maroc, Mohamed Yatim a «affirmé être serein quant aux conditions de déroulement de [cette] campagne», rapporte l’agence MAP.
«Plusieurs ouvrières, soit celles ayant bénéficié de cette opération à maintes reprises ou celles qui ont vécu cette expérience pour la première fois, ont formulé le souhait de renouveler cette opération, ce qui confirme que les conditions étaient effectivement bonnes.»
L’agence officielle fait elle aussi la sourde oreille quant aux plaintes déposées en Espagne par des saisonnières marocaines, donnant la parole à d’autres travailleuses n’ayant pas été victimes d’abus ou de conditions de travail déplorables. «Plusieurs travailleuses se sont réjouies des conditions de travail et de logement dans les exploitations agricoles espagnoles et ont affirmé n’avoir subi aucun acte de violence», affirme la MAP.