«Ce tableau parle de guerre. Et on vit dans la guerre». Ainsi Nissrine Seffar évoque Guernica, œuvre culte de Pablo Picasso qui a dénoncé les manœuvres des troupes nazies et fascistes dans l’Espagne des années 1930. Sur les pas du père fondateur du cubisme, la peintre franco-marocaine travaille depuis 2010 sur les empreintes du sol, sillonnant une région méditerranéenne en plein soulèvement. Aujourd’hui, elle a été sélectionnée pas l’Institut français en Espagne pour célébrer ce tableau inédit de Picasso, à travers son exposition ‘Guernica Huella’.
«J’ai travaillé notamment sur le bombardement de Guernica, ville où je me suis rendue. J’ai pensé à faire une œuvre de la même dimension, à travers ma vision et le regard avec lequel j’interprète le tableau de Picasso.»
Nissrine Seffar lors du vernissage de son exposition Guernica Huella, à la Fondation des trois cultures de la Méditerranée de Séville, 13 décembre 2017 / Ph. Institut français de Séville
Née à Casablanca, d’un père ancien cadre touristique et d’une mère dotée d’une grande sensibilité artistique, Nissrine Seffar a vécu au Maroc jusqu’à ses 28 ans. En 2011, elle prend son envol vers la France, aujourd’hui son deuxième pays. Là-bas, elle élit domicile à Sète, ville occitane qui l’a adoptée et lui a permis d’acquérir deux ateliers, grâce à la mairie.
Une passion innée
Avant d’être accueillie actuellement à Séville pour rendre hommage à Picasso, Nissrine Seffar a fait ses premiers pas dans la peinture dès son enfance.
«Autant que je me souvienne de moi, j’ai toujours exprimé mon engouement pour l’art, nous confie-t-elle, à quelques heures de son vernissage à Séville. A l’âge de 4 ans, je dessinais et faisais des croquis partout». Dix ans plus tard, Nissrine est inscrite par ses parents à des cours d’art plastique. «Je savais que ma carrière était là», affirme-t-elle.
Nissrine Seffar, devant l'une de ses toiles faites dans le cadre de son travail sur les empreintes du sol / DR
Elève de l’artiste Taoufik Mdeghri Alaoui, elle est rapidement repérée par celui-ci comme étant une peintre-née. «Vous êtes chez-moi depuis des années mais vous n’avez jamais fait pareil». Le professeur avait ainsi commenté le premier exercice de la jeune peintre devant ses étudiants, à peine à sa première séance.
L’enseignant a tellement été frappé par le génie de la graine d’artiste qu’il demande aux parents de celle-ci de ne plus payer les cours. Elle est tellement passionnée par la peinture qu’elle passe les weekends dans l’atelier de son professeur, à dessiner et à s’exercer sur la toile.
Plus tard, la jeune peintre suit un cursus à l’Ecole des beaux-arts au Maroc puis en France. «Quelques années après, mon père m’a dit qu’il voulait que j’évolue en suivant ma passion, se rappelle Nissrine Seffar qui a toujours compté sur les encouragements de ses parents. Il m’a demandée de partir dans d’autres pays, pour évoluer et mieux exister, avant de revenir». En effet, la peintre avait un élan de création tel que la faible infrastructure artistique de son pays natal ne lui permettait plus de se développer à son propre rythme.
Le mal du pays
Ce n’est pas sans mélancolie que Nissrine Seffar quitte alors le Maroc en 2011. Un mal nécessaire, qui lui permet aujourd’hui de mieux revenir chaque année exposer son travail et rencontrer d’autres jeunes artistes locaux. Prenant le côté positif et émancipateur de cette situation, l’artiste considère qu’«une expérience à l’étranger est toujours un apprentissage. Au Maroc, l’infrastructure manque et on n’encourage pas les jeunes en les gardant pour qu’ils existent et produisent dans leur pays, tout en ayant une bonne visibilité. Cela m’a fait mal de quitter mon pays mais cela me permet d’évoluer artistiquement. Donc, celui qui n’a pas la possibilité d’aller à l’étranger, pourquoi il ne peut pas exister ?»
Si l’artiste critique l’absence d’accompagnement des peintres et des plasticiens en début de carrière au Maroc, c’est parce qu’elle tient aussi à rappeler l’importance de miser sur celles et ceux qui incarnent l’avenir.
«La jeunesse, c’est le futur de nos sociétés. Il faut la soutenir parce qu’il faut grandir ensemble. C’est pour cela que je ne pourrais jamais laisser tomber mon pays malgré les contraintes.»
Une reconnaissance ici et ailleurs
Parallèlement à son actuelle exposition à Séville, Nissrine Seffar a exposé depuis octobre à Dar El Kitab à Casablanca. Elle n’est pas à sa première présence en tant qu’artiste professionnelle dans sa ville natale, puisqu’elle a reçu dernièrement le 1er Prix jeune artiste contemporaine à Venise Cadre Galerie (Casablanca). «C’est une reconnaissance pour moi et j’exprime toute ma gratitude pour celles et ceux qui m’aident à montrer mon travail à mes compatriotes», se satisfait l’artiste.
Celle-ci bénéficie désormais d’une reconnaissance dans ses deux pays. «A Sète, la mairie me rend disponibles deux ateliers», précise celle qui n’a eu sa nationalité française qu’en 2017. «C’est un pays qui me soutient beaucoup. Les adjoints aux maires sont très attentifs à mon travail et le suivent de près. Un pays qui fait cela, on ne peut que le considérer comme son deuxième pays.»
Nissrine Seffar, en exposition à la COP22 de Marrakech (2016) / DR
Espérant que son travail puisse constituer une passerelle entre la France et le Maroc, mais aussi à travers la Méditerranée, Nissrine Seffar veut joindre valeur poétique et orientation politique, à travers une peinture engagée dans la recherche, en quête de liens unissant les peuples du pourtour méditerranéen et en défense de la libre circulation des idées à travers l’art.
«L’art, c’est la liberté d’expression. On peut envoyer beaucoup de messages forts, artistiquement. C’est normal que l’art incarne donc la liberté», conclue-t-elle.
Travaillant d’arrache-pied, Nessrine Seffar trouve son repos et son épanouissement dans la création et la recherche. Au moment où son exposition rendant hommage à Guernica connait un franc succès, la peintre envisage déjà de mettre sur pied une autre exposition, retraçant cette fois-ci le bombardement d’Hiroshima.