Le monde célèbre ce 10 octobre la Journée de lutte contre la peine de mort. Un rendez-vous saisi par les organisations de défenses des droits de l’homme pour appeler certains pays à prévaloir le droit à la vie et abolir la peine capitale.
Au Maroc, la Coalition marocaine contre la peine de mort appelle depuis plusieurs années le gouvernement et le législateur à abolir une peine que le Maroc n’applique plus depuis 1993. Une non application que les Marocains associent à une affaire des plus scandaleuses qui a choqué l’opinion publique marocaine dans les années 90 : l’affaire du commissaire principal des renseignements généraux à Ain Sebâa Hay Mohammadi, l’Haj Tabit. Arrêté suite à des enregistrements pornographiques en sa possession qui mettaient en scène plus de 500 femmes et des personnalités de premier ordre, il a été condamné le 15 mars, peu de temps après son arrestation, pour attentat à la pudeur, défloration, viol avec violence, rapt et séquestration d'une femme mariée, en plus d’actes de barbarie et d’incitation à la débauche. Le célèbre commissaire a été fusillé le 5 septembre de la même année dans une forêt aux alentours de Kénitra.
Un commissaire des renseignements généraux au bras très long
Mohamed Mustapha Tabit voit le jour en 1949 à Béni Mellal. Peu d’informations sur son parcours avant de devenir policier ne filtrent. Certaines versions affirment qu’il a déjà exercé en tant qu’instituteur de langue arabe avant de rejoindre l’Académie de police à Kénitra dans les années 1970. En 1989, Mohamed Mustapha Tabit devient commissaire des renseignements secrets après avoir exercé à Béni Mellal. Il est affecté à Casablanca. Il est marié à deux femmes et père de cinq enfants. En l’espace de quelques années seulement, Haj Tabit devient l’un des hommes de l’Etat les plus puissants à Casablanca, au point que nul ne peut se mettre sur son chemin. Ce qui l’a sans doute encouragé à cultiver un nouveau «passe-temps».
Mais il avait surtout balisé le terrain grâce à un réseau tentaculaire et une image publique soignée. Ayant effectué à maintes reprises le pèlerinage à la Mecque, n’étant ni buveur d’alcool ni fumeur, et ne ratant aucune prière dans la journée, nul ne pouvait douter que la personnalité de l’homme cachait d’autres facettes : policier brillant et perfectionniste, père de famille, mais aussi «violeur en série» qui repérait ses victimes, allant jusqu’à les guetter pendant plusieurs jours avant de leur tendre différents types de pièges.
Les versions divergent aussi quand il s’agit de l’incident ayant révélé les activités parallèles de l’Haj Tabit. Al Massae rapporte en 2015 que l’affaire a éclaté durant les derniers jours du mois de Ramadan de l’année 1990. «Une femme s’est présentée au chef de la police judiciaire à Ain Sebâa Hay Mohammadi pour déposer plainte. Elle et son amie auraient été kidnappées par un certain Hamid, qui l’aurait violé», rapporte le média arabophone. L’inspecteur chargé de l’affaire doute alors de sa version et insiste pour qu’elle recommence depuis le début. Elle reconnait enfin avoir accompagné le monsieur de son plein gré. Après avoir eu un rapport sexuel avec son «client», elle se rend dans les toilettes et découvre, à son retour, que leurs ébats ont été filmés. «Elle lui aurait dit qu’elle devait retourner le voir le soir du jour de l’Aïd pour récupérer la casette», poursuit Al Massae. La police demande alors à la présumée victime de l’accompagner à la maison de son présumé client avant de découvrir qu’il s’agit d’une garçonnière appartenant au commissaire des renseignements généraux. On lui présente aussi des photos de plusieurs personnes pour repérer son présumé client et la jeune femme réussit à pointer du doigt celle de l’Haj Tabit.
Des plaintes classées sans suite avant l’intervention de la Gendarmerie royale
L’inspecteur hésitera à avertir sa hiérarchie ou classer l’affaire sans suite. Juste après l’Aïd, il est dégradé et la victime présumée convoquée pour la persuader de retirer sa plainte. Mais elle refusera, avant de déposer une autre plainte à travers un avocat. Al Massae ne donne pas de faits marquants entre-temps avant que l’affaire éclate réellement en 1993.
Une photo du commissaire Mohamed Mustapha Tabit. / Ph. DR
Dans une enquête réalisée par le magazine TelQuel en juin 2007, ce dernier relaye une toute autre version. A l’origine des révélations sur cette sulfureuse affaire : un Marocain résidant en Italie qui, en visionnant des «cassettes vidéo pornographiques» avec des amis lors d’une soirée arrosée, découvre que l’une des filles filmées n’est autre que sa sœur qui réside à Casablanca. Il rentre dès le lendemain à Derb El Kheir, à Casablanca pour chercher sa sœur, avant de découvrir qu’elle a quitté le domicile familial après avoir fait la connaissance d’un certain Haj. Le frère se rendra au studio de l’Haj Tabit une première fois pour rencontrer sa sœur avant qu’il soit embarqué de force dans une fourgonnette de police. Sa deuxième tentative lui permettra enfin de «kidnapper» sa sœur et la ramener dans la maison d’un ami. Il apprendra que sa soeur a été arrêtée pour prostitution et emprisonnée sans preuve, et qu’elle a fini par céder aux avances de l’Haj pour ne pas retourner en prison. Le MRE enregistre la confession de sa sœur et se rend dès le lendemain à l’ambassade d’Italie à Rabat, scandant sa double nationalité. L’affaire passe ensuite sur le bureau du Premier ministre Abdellatif Filali puis à feu le roi Hassan II avant que le souverain décide de saisir la Gendarmerie royale pour enquêter.
Les plaintes et les dépositions fusent avant que les hommes de Hosni Benslimane décident de perquisitionner le studio de l’Haj Tabit. Ils trouveront une garçonnière équipée de plusieurs caméras et près de 118 cassettes vidéo mettant en cause plus de 518 femmes. Dans les vidéos, des personnalités de renom sont aussi filmées dans des positions compromettantes. Le magazine TelQuel évoque aussi une cassette portant le numéro 32 dédiée à diverses célébrités marocaines filmées par les soins du commissaire. Une cassette qui disparaitra aussi du dossier d’accusations.
Exécuté dans une forêt près de Kénitra
Mustapha Tabit est donc arrêté en février 1993 et l’ensemble de ces anciennes affaires sont déterrées en peu de temps. Son procès s’ouvrira le 18 février. L’Haj est soumis à la torture et ne pipe mot pour se défendre devant le juge. Le procès est même critiqué, certains pointant du doigt plusieurs vices de forme, d’autres dénonçant un «procès expéditif». Le 15 mars, le commissaire des renseignements généraux est condamné à la peine capitale pour plusieurs chefs d’accusation. Une trentaine de personnes accusées de complicité sont aussi condamnées à différentes peines.
Six mois plus tard, soit le 5 septembre, l’Haj Tabit se réveille à l’aube pour effectuer la prière d’Al Fajr. Il a l’ultime conviction qu’elle sera sa dernière prière. Peu de temps après, des gendarmes viendront pour le conduire. Il est alors informé qu’il sera déplacé dans un autre centre de détention. Mais Mustapha Tabit savait. Il est alors conduit dans une forêt aux alentours de Kénitra. Sur place, le directeur de la prison, des magistrats, en plus de Hosni Benslimane, patron de la gendarmerie, d'Ahmed Midaoui, fraîchement nommé directeur général de la police, du médecin de service et de Mohamed Lididi, directeur de l'administration pénitentiaire. Attaché à un poteau, il refuse qu’on lui bande les yeux et saisit ces derniers moments pour prononcer deux phrases : «Je suis condamné pour des choses que tout le monde fait. Sauf que les gens qui ont été condamnés avec moi n'ont rien à voir avec cette histoire !», lance-t-il avant que le jugement à son encontre ne soit exécuté.
Durant son procès, plusieurs sources médiatiques rapportent que l’Haj a fini par avouer ses crimes, reconnaissant avoir eu des rapports sexuelles avec plusieurs centaines de femmes, célibataires, mariées, veuves ou même mineures durant les trois dernières années. Il a aussi reconnu avoir eu recours à la violence, au chantage et à la séquestration de ses victimes. L’Haj Tabit a aussi insisté à ce que les juges visionnent la casette numéro 32 dont le contenu reste méconnu jusqu’à nos jours.