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Nostalgie : Les Marocains à l’étranger et la transhumance estivale

Les zmagris, facanssis, Marocains résidant à l’étranger (MRE), Marocains du Monde, selon les nombreuses appellations, sont en train de perdre leurs traditions. La transhumance estivale se défait, année après année de son caractère populaire et joyeux. Retour pittoresque sur les grandes étapes du périple estival vers le Maroc.

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"Yal babor, ya mon amor, kharejtni men la misère..."
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Souvenez vous de l’étape fatidique du chargement du J5, l’agitation des dernières heures avant le départ, le comptage des enfants : «1, 2, 3, … 9… Finou Mounir ? Aziz, va chirchi ton frère. Tide suite !».

On néglige souvent les préparatifs du départ mais c’est le moment stratégique du voyage. C’est pour cette raison que c’est à cet instant que la glycémie du papa est au maximum, bien qu’il n’ait rien avalé depuis 24heures. On ne compte plus les galeries mal fixées qui ont fini en plein milieu de l’autoroute, les oublis d’un des marmots à la maison, des passeports restés sur la table de la cuisine…

Chaque été, les aires d’autoroutes changent de look avec le tsunami des zmagris. Les mamans ont tout préparé, comme si on partait camper. Couverture, tapis en plastique, glacière, petit réchaud au gaz, une cocotte, et c’est parti pour un festin royal. Leur sens de l’organisation aurait été très apprécié des sociétés opérant dans l’évènementiel.

Et pendant que le papa fait une petite sieste, le fils ainé est de garde pour surveiller la fourgonnette et la cargaison. Il ne faudrait pas qu’un bandit vienne subtiliser les bijoux en or de la maman.

Copilote dès l’âge de 10 ans

Le fils ainé est toujours désigné pour servir de copilote au padre. Il est chargé de lire les panneaux et éviter ainsi de se tromper de route. Vous n’auriez pas l’air très malin si vous vous retrouvez à Calais. Les douaniers français vont bien se marrer. «Bah alors Aziz, tu veux prendre le bateau pour l’Angleterre ? Y a pas de Fatima là-bas. Hahahaha !» 

Mais même quand on sait lire et que tout se passe bien, un ultime piège attend le jeune fiston à l’approche de l’extrême sud ibérique. Jusqu’ici il était heureux et fier de la dépendance qui s’est instauré en sa faveur. Sauf que trouver «Al khouzerate» sur les panneaux c’est mission impossible. «Papa, y a pas le Khozirate, y a juste Cadiz, Algeciras, Tarifa. Tu es sûr de la prononciation?».
C’est à ce moment que le visage buriné du papa s’illumine d’un sourire revanchard devant un grand panneau de couleur verte écrit en plusieurs langues. «Yal hmar : Al khozirate. Tu vois pas ? Pourquoi je t’envois à l’école, hein ?» Et oui, les espagnols ont tout prévu. Les panneaux sont aussi en arabe dès qu’on approche du port. Le père tenait ainsi sa revanche sur son copilote dont il était dépendant jusqu’ici.

Comme Tarik Ibn Zyad, quelques siècles auparavant, les parents se sentaient déjà chez eux à l’approche de Gibraltar. A ce propos, Baba Ali, ouvrier-philosophe, originaire de Midelt disait : «Il n’y a pas plus agréable sensation que de se sentir chez soi dans un pays étranger.»

Ce à quoi son fils Zenjlan répondait : «Baba, il n’y a pas pire que de se sentir étranger dans son propre pays.» Je vous laisse méditer ces deux phrases.

La croisière, ca m’use !

Lorsqu’on arrive enfin à l’intérieur du bateau, tout le monde se précipite dans les 20m2 des toilettes. Chacun s’organise pour se rafraichir un peu, se raser, ou carrément faire la grande toilette devant un minuscule lavabo. En quelques dizaines de minutes, les toilettes se transforment en champ de bataille. On se croirait à Fallujah après un bombardement de l’armée américaine. Et oui, nous aussi on a des armes de destruction massive.

Mais la traversée du détroit a aussi quelques moments de plaisir. Quel agréable souvenir de voir des bancs de dauphins suivre le bateau, comme pour mieux nous dire au revoir. Heureusement qu’on ne comprend pas le langage des poissons. Les dauphins doivent surement nous siffler : «Au revoir, et surtout ne revenez plus !». Flipper serait-il raciste ?

Vas-y, dit wana ? (Blague de douaniers)

Que dire du traditionnel passage à la douane ? En un mot, pittoresque ! Si vous passez par l’enclave espagnole de Sebta, vous aurez droit à la juxtaposition de l’Europe et de l’Afrique sur quelques mètres. Vous passerez d’abord par la douane espagnole où le dialogue se limitera au langage des signes. Puis viendra le tour de la douane marocaine, où on préfèrera le langage de la monnaie. Chacun sa langue n’est ce pas ? Moi je suis pour un respect scrupuleux des différences linguistiques.

Arrivé au Maroc, premier pas sur le continent africain, on passe en mode sous-développement. Klaxon, c’est le seul chapitre du code de la route qui est encore dans l’esprit de nos papas. Or normalement le klaxon est à utiliser uniquement en cas de danger imminent. Mais toute personne vivant en Europe sait qu’au Maroc, on est sans cesse en danger. Alors bonjour le concert de klaxon philarmonique du Maroc.

Une tradition qui se perd

Que de souvenirs, que d’émotions, que d’aventures. Ce périple ne peut laisser insensible. Mais les temps ont changé. Désormais ceux qui ont encore le courage de faire les milliers de kilomètres de route prennent leur temps. L’hôtel, le restaurant, on n’hésite pas à piquer une tête dans la Méditerranée.  Les 2 ou 3 jours dignes d’un rallye, se sont transformés en une semaine de villégiature sur les côtes espagnoles. Les fourgonnettes avec un moteur toussotant sur les difficiles pentes de la Sierra Nevada, ont laissé place aux puissantes berlines climatisées.

Même les derniers aficionados de la route risquent de déclarer forfait face à la hausse vertigineuse des prix de la traversée du Détroit de Gibraltar ces dernières années.

Difficile de lutter contre le confort et la célérité de l’avion. C’est plus rapide de faire un Paris-Casablanca que de prendre un grand taxi de Casablanca à Beni Mellal et pour un coût qui peut être aussi compétitif. En fait l’avion low-cost aujourd’hui c’est un peu comme l’autocar d’hier. D’ailleurs à ce sujet écouter la complainte de Jamila, 54 ans, 92 kilos à la pesée et native des montagnes de Mernissa : «Essayez de prendre le vol Ryanair Fez-Marseille, bonjour l’ambiance du bled. Vous aurez l’impression d’être dans un car de Laghzaoui.»

Mais vous savez, même si le périple sur les routes espagnoles en mode rallye est en voie de disparition, resterons les magnifiques souvenirs. Les enfants marocains à l’étranger devenus aujourd’hui adultes n’oublieront pas les nombreuses anecdotes, les moments d’émotions, les éclats de rire, les pannes de fourgonnette, les rencontres, et surtout ce moment magique où les côtes marocaines apparaissent au loin. Certains ont alors rêvé de pouvoir répondre aux dauphins : «Au revoir, je ne reviendrais plus !». 

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