Tout est parti de la révision constitutionnelle de juillet 2008, qui a instauré la question prioritaire de constitutionnalité (QPC). De ce fait, tout citoyen justiciable peut saisir un juge et contester la constitutionnalité d’une loi applicable dans l'affaire dont il est partie.
C'est ce que Mme Khadidja L. et M. Moktar L. ont fait le 14 avril dernier pour demander justice en matière de pensions d'anciens soldats coloniaux de l'armée française. Durant l'audition publique du mardi 25 mai au Conseil constitutionnel, Me Arnaud Lyon-Caen, l’avocat de deux requérants algériens, avait cité l'exemple d'un ancien soldat marocain. Ce dernier percevait 612 euros de pension annuelle (!) alors que, pour un Français de même grade, ayant servi dans les mêmes conditions et ayant versé les mêmes cotisations, la retraite était de 7512 euros.
Cette différence de traitement se basait sur la dénommée cristallisation décidée par le Général de Gaulle en 1959, qui consistait à évaluer le niveau de retraite des anciens combattants selon le niveau de vie dans leur pays d'origine. Au fil des années, plusieurs revalorisations ont été décidées par différents gouvernements, notammment sous le gouvernement de Lionel Jospin, en 2001, ou encore durant la présidence de Jacques Chirac en 2006, après la sortie en France du film Indigènes. Entrée en vigueur en 2007, cette dernière revalorisation ne s’était toutefois pas appliquée à cause des conditions différentes des anciens combattants du Maghreb, d'Afrique noire ou d'Indochine. Et aucune de ces décision n'avait mis en doute le principe initial de différence de traitement selon le pays d'origine.
Les Sages ont statué qu'un différence de pensions pouvait être justifiée pour des anciens combattants résidants dans des pays étrangers et ayant donc des coûts de vie effectivement différents. Mais pour des anciens combattants de différentes nationalités mais résidant dans un même pays, les pensions devaient être pareilles. Dans son verdict du 28 mai, le Conseil constitutionnel a donc déclaré «inconstitutionnelles» et «contraires au principe d'égalité», les dispositions contestées relatives à la «cristallisation des pensions», des anciens fonctionnaires étrangers, civils ou militaires, des anciennes colonies françaises. Ainsi, le Conseil a fixé au 1er janvier 2011, l’abrogation des articles visés par sa décision. Avant, le législateur est prié de prendre de nouvelles dispositions pour rétablir l’égalité de l’ensemble des soldats ayant combattus pour la libération de la France dont «le recours est en cours».
Plusieurs dizaines de milliers d’anciens soldats sont concernés par cette décision. Cependant, pour les 80 000 anciens soldats coloniaux encore en vie, c'est une décision bien tardive, cinq décénnies au moins après qu'ils ayent combattu pour la France. Et cette décision sera-t-elle rétrospective? Donnera-t-elle droit à des dédommagements pour l'injustice subie depuis ces décennies?