Ce n’est pas quand la nature en a soudain décidé
Me laissant avec mes questions, tresses pendantes, hébétée
Ni quand l’amour m’avait un beau jour envahi,
Liant pleinement mon âme à mon corps surpris
Ni le premier cri de mes enfants qui m’avait poussé,
Meurtrie et frissonnante, à sourire, comblée,
Ni l’horizon éclairé par l’instruction et un métier,
Ni le poids doux et amer des responsabilités…
Non, ce n’est pas tout ça , ce n’est pas comme ça…
La première fois… à voix haute ou tout bas... je n'oublierais pas...
La première fois que je suis devenue femme,
C’était quand mon coeur avait saigné de voir ton âme,
De découvrir la femme dans la mère que je connaissais,
De deviner d’autres étreintes aux bras que je chérissais,
Quand j’ai aperçu, malgré tes cheveuxs d’argent,
L’air timide de cette petite fille, comme figée en noir et blanc,
La coquetterie de cette épouse silencieuse, presque mystérieuse
Qui cachait son bonheur et ses malheurs pour me rendre heureuse,
Qui avait choisi, sans le savoir, d’être mère avant tout,
Laissant doucement sombrer en elle la femme et ses atouts…
Femme, quand j’ai commencé à lire tes soupirs,
A provoquer ton air surpris et guetter tes rires,
A vouloir allumer ton regard trop souvent baissé,
A espérer follement revenir en arrière, redevenir enfant,
Pour brouiller les souvenirs et te donner plus de temps…
Femme, quand j’ai commencé à aimer te questionner sur toi
Beaucoup plus qu’à exiger des choses pour moi,
Femme, quand mon seul désir était de te combler,
A travers cette carapace que le temps avait forgé
Et que tu avais verrouillé de ton air toujours satisfait…
Femme enfin, quand ta vie m’a ouvert les yeux
Et que la mort a fermé les tiens, comme un aveu,
L’aveu amer d’avoir connu trop tard cette femme,
A la fois ma mère et ma soeur dans l’humanité...
Femme enfin, devenue toi, et à toi liée pour l’éternité,
Femme, déja, pour avoir aperçu la limite,
Des gestes retenus et des vérités non dites
Du temps, le tien et le mien, qui passe trop vite...