Quelqu’un m’avait dit un jour que tout va bien chez moi, au Maroc. Il était tellement convaincu de ce qu’il avançait que j’ai failli le croire sur parole. Il me parla au passage de la patrie et ce sentiment patriotique que nous devons montrer et exprimer en tout temps, et en toutes circonstances. Quitte à débarrasser le plancher sur le drame quotidien d’une grande partie des nôtres ? Lui répliquai-je avec amertume. La personne en question se montra silencieuse. Un geste qui en disait beaucoup sur l’ampleur du fossé qui existe entre sa conception du patriotisme et la mienne. Je lui posais une autre question : as-tu eu «le courage» de t’aventurer dans l’inconnu du Maroc profond un jour….l’autre Maroc ? Elle me répondit que ce n’est pas le sujet. De toute façon, ce n’est jamais le sujet, ni le moment d’en parler d’ailleurs.
Ce qui m’a marqué ces derniers jours, et vous peut-être, c’est cet enchainement d’événements et de tourbillons médiatiques sur un certain nombre de faits. Entre l’ennuyeuse et fatigante querelle qui dure depuis déjà un moment, entre les gardiens du temple et un certain nombre de modernistes de service, sur qui a le droit ultime de parler au nom du peuple, veiller sur sa foi (si foi y’en a) ou lui montrer le chemin de la lumière. Vous l’auriez bien compris, ça dépend de quelle lumière on parle. Le deuxième fait s’agit de la débâcle d’un soi-disant représentant du peuple qui est allé chez ses amis du golfe leur raconter des blagues nauséabondes au sujet d’une catégorie de ses compatriotes. En ce sens, on a eu aussi notre dose de disputes stériles à ne plus y comprendre quoi que ce soit. Bref, les médias n’ont pas chômé entre temps, le peuple est servi….On attend la suite, à qui le tour ?
Dans le Maroc qui ne compte pas, on meurt en silence
En ce temps-là, un autre événement est passé et n’a intéressé quasiment personne, du moins avec le niveau d’attention qu’il mérite, au regard de la gravité de la chose. C’est vrai, le peuple avait d’autres chats à fouetter. La classe politique, elle, est restée fidèle à son silence légendaire quand il s’agit de parler des choses sérieuses.
Il s’agit la petite Fatima Azehriou (Dieu ait son âme), 14 ans, à qui on avait diagnostiqué une aplasie médullaire, et qui a succombé à sa maladie 4 mois seulement après la tombée du diagnostic médical. Ce qui m’a frappé dans cette histoire, ce n’est pas le fait que la fille a fini par rendre l’âme après que la maladie l’ait vaincue. Mais c’est les conditions dans lesquelles elle a vécu ses derniers jours à l’hôpital. Vous allez bien sûr me parler de la volonté de Dieu et tout ce qu’on sait rabâcher en excuses dans ce genre de situations. Rien de surprenant, nous avons bien l’habitude, puisque on en est arrivé à développer ce déni légendaire qui nous caractérise tant. Celui de notre propre indifférence devant cette tragédie que sont les vies de millions d’être silencieux dans ce pays.
Combien est douloureux ce sentiment de gâchis, mélangé à l’impuissance devant ce silence assassin. Devant cette tragédie qui se répète dans l’ombre et l’obscurité des nuits de ce pays, chaque jour, chaque instant devant nos yeux, nous qui sommes habitués à la prière de l’absent. Cette pièce de théâtre qui se répète incessamment sur nos corps, et à chaque fois on attend l’ultime moment où la mort vient nous déposséder de nos âmes inutiles, ou ce qui en restent.
Je m’arrête un instant et je me dis que les funérailles de cette fille peuvent être les miens, les vôtres ou ceux de personnes qui vous sont chères. C’est dans ces moment-là qu’on finit par se rendre compte de l’ampleur de l’injustice qui sévie autour de nous. Mais quand il s’agit des autres, on se dit que Dieu est grand et c’est à lui de s’occuper de leur sort, le reste n’est que poussière.
Un nième trahison
Combien de Fatima, Ittou, Aicha, Ijja meurent chaque jour dans ce pays. On les enterre et on les oublis. Comme nous avons déjà oublié la petite Amina Filali, Naîma et son nourrisson, etc. etc. Ces dernières sont toutes là à nous dévisager, à nous contempler, et nous n’avons même pas le courage de les regarder dans les yeux et leur dire qu’elles n’ont pas souffert ou périe pour rien. Les rassurer que plus jamais cela ! Mais, hélas, nous sommes dénués désormais de toute humanité, plus encore nos âmes n’ont plus aucun sentiment. Avons-nous encore des larmes pour pleurer ? Je n’en ai aucune idée, mais ce que je sais, c’est que nos existences, elles, sont l’ultime aboutissement de ce deuil qui flâne sur cette terre depuis toujours.
Fatima a entrepris son dernier voyage devant le regard indifférent d’un pays qui est censé la protéger, l’aimer et lui rendre justice. Sa mort ne la concerne plus, c’est désormais notre affaire à nous. Avons-nous tous droit d’être aimé par ce pays ? A vrai dire, je commence à en douter. Je m’arrête encore et je m’interroge : derrière ces masques que nous portons, y-a-t-il des âmes et des cœurs qui vivent, ou sommes-nous tous des morts en sursis ? Comme on a bien su être des projets de citoyens avortés d’ailleurs.
Chère Fatima, je ne sais pas quoi te dire, sauf que nous t’avons trahi comme on l’a fait pour les autres. Nous ne faisons qu’être fidèles à nos habitudes, on ne sait pas faire autrement à vrai dire. Tu semblais l’avoir compris en te refusant à faire du bruit en partant ou essayer de d’interpeller nos consciences. Tu savais au fond de toi qu’il ne servait à rien d’attendre des êtres abimés de te venir à la rescousse, t’accompagner pour ton dernier voyage, ou même compatir à la douleur des tiens. Ainsi, tu t’es résignée à te dire que la tombe saura être plus miséricordieuse que tout ce monde qui se satisfait à lui-même. Mais tu as oublié, qu’en partant, c’est nous que tu enterre aussi.
Pour finir, je suis perdu, entre ce sentiment de mépris envers moi-même et les autres. Je sais que tu as fini par trouver la paix là où tu es maintenant. Mais j’en meurs d’angoisse de savoir que tu ne seras pas la dernière. Peut-être que ça sera mon tour demain, comme ça peut-être le tour de quelqu’un d’autre. Une chose est sure, ceux-là aussi on les a déjà oublié, comme disait quelqu’un «Mon âme s'est détachée de mon corps. En se levant dans le ciel, elle s’est retournée, elle voit des loups en train de déchiqueter mon cadavre. Elle s’interrogea si les loups ont dévoré mes amis ou c'est bien mes amis qui se sont transformés en loups».
Repose en paix ma petite Fatima et que Dieu ait ton âme, j’en perds mes mots !