Jeudi 12 décembre, nous publiions un article sur Sara Louazzani, une MRE qui n’arrive pas à enregistrer sa fille de 4 mois au consulat de Pontoise, parce que, selon la représentation diplomatique, le prénom de l’enfant – Rawane – ne figurerait pas sur la liste des prénoms autorisés.
N'ayant pas pu nous passer la vice-consule en contact régulier avec Mme Louazzani à ce sujet, une agente consulaire nous avait fait comprendre que le consulat a déjà écrit aux autorités marocaines à ce propos et attend encore la réponse. Vendredi matin, nous avons à nouveau tenté de joindre l’adjointe au consul, Souad Zairi, pour savoir où en est exactement le dossier. Celle-ci a confirmé l’envoi d'un écrit, à la Haute commission de l’état civil au ministère de l’Intérieur chargée de trancher dans ce type d'affaire. Le document dont Yabiladi détient la copie est daté du 13 novembre 2013. Cependant, nous ne le diffuserons pas pour des raisons déontologiques.
«On ne refuse pas d’enregistrer son enfant, on doit se conformer à la liste»
La vice-consule tient cependant à «éclaircir» certains points. Déjà, «On ne refuse pas d’enregistrer son enfant. Nous avons des listes de prénoms contenant ceux admis et ceux non admis (généralement ceux-ci ne sont pas marocains), on doit s’y conformer», défend-t-elle. Mme Zairi relate que Sara Louazzani a été reçue la première fois par l’officier d’état civil. «Après elle est revenue avec une recommandation d’un collègue d’un autre consulat et un justificatif de ce prénom, l’acte de naissance d’une Rawane au Maroc», relate la responsable. Au vu de cela, «j’ai dit que, j’allais attirer l’attention de la commission sur l’autorisation de ce prénom au Maroc et son interdiction auprès de nos services. Ce que j’ai fait», dit-elle.
Plus tard, après un entretien téléphonique avec la jeune maman, l’ajointe au consul lui a promis de la contacter pour lui donner la suite. «Mais je ne l’ai pas encore fait, parce que j’attends la réponse du ministère de l’Intérieur. C’est lui qui tient les choses en main», indique Mme Zairi. En effet, le courrier du consulat transite par les services du ministère des Affaires étrangers, avant d’atterrir au département de Mohamed Hassad.
Rawane refusé par la commission en 2011 à cause de sa signification transcrite du perse à l’arabe classique
Au ministère des Affaires étrangères, le chef de service de la division de l’état civil, Mohamed Benazouz, confirme l’envoi de cet écrit. «Il a été adressé à service d'état civil du ministère de l’Intérieur le 9 décembre 2013. On attend l’avis», dit-il à Yabiladi.
Le Consul - qui s'est également adressé à nous - ainsi que son adjointe estiment avoir fait leur part. «Quand on a une liste de prénoms refusés, on dit non et c’est tout. Mais nous sommes allés jusqu’à contacter la Commission, sachant que le prénom Rawane a été rejeté par la commission à deux reprises en 2011», rélève Mme Zairi qui a transmis, à notre rédaction, des copies des deux lettres de refus – la première datant du 14 juin et la seconde du 15 novembre- émanant de la Commission. «Des parents voulaient ainsi prénommer leurs enfants, mais en référence aux listes, cela n’était pas possible», se souvient-elle.
La Haute commission pour sa part, reconnait avoir rejeté ce prénom en 2011 parce que l’équipe qui s’en était chargé à l’époque, avait «découvert qu’il est d’origine perse et sa signification en arabe classique n’est pas civique, il veut dire esclave», explique à Yabiladi Abdelouahed Ourzik, gouverneur directeur des Affaires juridiques au ministère et l’intérieur et membre du secrétariat de la Haute commission de l’état civil. Quand nous lui faisons savoir que d'autres recherches montrent que Rawane est d'origine arabe et signifie «contemplation de la beauté», sachant qu'il est autorisé au Maroc, M. Ourzik, soulève donc la problématique de l’attribution des prénoms.
«Il n’existe pas de liste, même la loi l’interdit»
Tout d'abord, M. Ourzik tient à clarifier une chose primordiale. Depuis la circulaire de 2010 émise par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Justice, les listes ne sont plus valables. «Il n’existe pas de liste, c’est interdit par la loi. Même moi qui vous parle, je n’ai pas de liste», argue-t-il.
Même son de cloche au ministère des Affaires étrangères. «Il n’y a pas de liste», déclare Mohamed Benazouz. Pourtant, le consulat qui relève de ce département affirme le contraire. « Nous ne travaillons pas avec ces listes», insiste catégoriquement le chef de service de la division de l’état civil. Que se passe-t-il donc au sein des consulats ? «Normalement, les officiers d’état civil doivent connaitre la particularité de chaque région du Maroc pour pouvoir accepter ou refuser un prénom. En cas de désaccord avec les parents, la Haute commission intervient sur recours», explique M. Benazouz.
Le cas de Sara Louazzani pourrait être discuté le 15 janvier prochain
Pour la Haute commission, il ne fait pas l’ombre d’un doute que «les Marocains sont libres de choisir des prénoms conformes à la loi [n° 37-99 relative à l’état civil](article 21), ndlr] qui veut que ceux-ci aient un "caractère marocain’", c’est-à-dire qu’ils respectent l’histoire, la culture, bref l’identité marocaine», explique Abdelouahed Ourzik. Il souligne - au passage - que ces prénoms peuvent être d’origine «amazighe, andalouse, orientale ou même hébreux [pour les juifs]». L’homme comprend cependant la réticence des officiers d’état civil lorsqu’un prénom «sort de la phonétique marocaine». «Mais c’est pour cela que la commission existe», lance-t-il.
M. Ourzik n’a pas une connaissance précise du dossier de Sara Louazzani, mais vu la date de son expédition, «Nous devrions le traiter à la prochaine réunion de la commission qui se tiendra le 15 janvier 2014, en considérant la diversité des significations», précise-t-il, indiquant que l’organe se réunit tous les deux mois.
La question de l'attribution des prénoms étant devenu un problème majeur, indique M. Ourzik, le ministère de l'Intérieur prépare la mise en place d'un registre national électronique. «Avec 2200 officiers au Maroc et dans les consulats, certains refusent parfois des prénoms qui sont déjà octroyés ailleurs. Ce système permettra d'éviter ce type de situation», conclue-t-il.