Amoureux de sport, l’entrepreneur et designer belgo-marocain Ismaël Boufrahi n’aurait jamais envisagé une évolution professionnelle dans la décoration d’intérieur. Jusque-là, c’est dans le parachutisme militaire qu’il a joint l’utile à l’agréable, tout en se mettant au service de la nation. Né en Belgique de parents marocains originaires du Rif, il grandit au sein d’une famille de 10 enfants (7 sœurs et 2 frères), dans la commune bruxelloise de Schaerbeek. Brillant élève, il décroche son baccalauréat en sciences économiques et mathématiques, avant de suivre des études en ingénierie commerciale. Mais il s’engage dans l'armée belge dès 1997, alors qu'il n'y avait que très peu de membres issus de la diversité. Ismaël brise le plafond de verre et réussit tous les tests d’admission à l’unité d’élite parachutiste Para-Commando.
Se rappelant de cette phase de sa vie professionnelle, il confie à Yabiladi avoir «entièrement trouvé [sa] place au sein de l’armée», où il a pu allier son amour pour le sport aux valeurs transmises par ses parents, en termes de «sens de l’engagement, d’entraide et de rigueur envers soi-même». Mais brusquement, en 1999, son rêve de percer au sein de l’unité d’élite prend fin, à la suite d’une blessure grave lors d’un atterrissage en parachute. C’est cet accident qui marquera un premier tournant dans son parcours aux multiples virages. Ismaël porte tous ses espoirs sur un possible retour à l’armée, mais son bilan médical en décide autrement, précipitant son retrait définitif.
Lorsqu’il est questionné sur sa capacité à tout recommencer, avec la même hargne, malgré la désillusion et la longue convalescence, Ismaël Boufrahi insiste sur les valeurs transmises par sa mère et son père, auprès de qui il puise sa force.
«Notre éducation, à la maison, nous apprend à devoir prendre les plus grandes épreuves de la vie comme un nouveau départ vers ce qu’il y a de meilleur. Lorsque plusieurs portes se referment devant nous, c’est pour que d’autres s’ouvrent. Nos parents nous disaient que nous devions nous armer de patience et de résilience en prenant les moments difficiles pour des concours de circonstances, qui nous mènent vers de nouvelles voies. Ce pouvoir d’espérer et d’agir à la fois fait partie aussi de notre éducation religieuse.»
De parachutiste militaire à vendeur de meubles
C’est ainsi qu’Ismaël Boufrahi intègre le marché du travail comme opérateur de piste pour la compagnie aérienne belge Sabena, laquelle déclare sa faillite en 2002. Il se retrouve encore sans emploi, mais cette fois-ci avec une responsabilité familiale, suite à son mariage. Recommandé par sa belle-sœur, il occupe un poste vacant de vendeur dans un magasin de meubles discount, avec «un salaire inférieur à celui d’un stagiaire», se souvient-il.
Dans le temps, sa belle-sœur lui a reconnu des «talents de décorateur d’intérieur». «Je ne me souviens pas avoir été porté sur la décoration intérieure, de manière particulière», nous confie-t-il.
«Je me rappelle, en revanche, du raffinement avec lequel ma mère choisissait les rideaux du salon de notre maison familiale, quand j’étais petit, ou encore du temps qu’elle consacrait au choix des tissus pour mettre les couleurs et les décors en harmonie.»
C’est ce sens du détail et d’attrait pour la beauté des intérieurs, «tels que nous l’avons déjà dans notre tradition marocaine», qui rattrape Ismaël Boufrahi. Ainsi, il passe de liquidateur de stock dans cette première enseigne, jusqu’à sa fermeture, à conseiller en aménagement d’intérieur. Grâce à l’originalité et à la créativité de ses propositions, l’entreprise réussit en effet à doubler son chiffre d’affaires et à redémarrer. En 2008, il reprend le fonds de commerce, ce qui marque un autre tournant dans sa carrière. Son savoir-faire dans le design se confirme, sous la nouvelle bannière de Dépôt Style.
Premier vendeur de marques italiennes de luxe et conseiller de célébrités
Associant son beau-frère Mohamed Aakabi à cette nouvelle aventure, Ismaël Boufrahi monte en gamme et en exigences de sélection qualitative du mobilier. «L’idée a été de privilégier des fournisseurs belges et européens, tout en mettant l’accent sur l’efficience écologique», indique-t-il. Avec sa capacité à tenir compte des références de plus de 180 marques pour la réalisation de chacun de ses projets, tout en harmonie, l’entrepreneur connaît un franc succès dans son domaine. Il se lie notamment aux manufactures et artisans italiens les plus importants du marché, devenant leur premier revendeur en Belgique pendant neuf ans.
Cette ascension permet à Ismaël Boufrahi de placer sa marque parmi les plus importantes d’Europe, grâce à la confiance de clients de plus en plus nombreux. Il se fait connaître pour être le conseiller de Nicolas Anelka, ou encore pour des prestations auprès du prince Talal Bin Mohammed Al Abdallah Al Faisal Al Saud, ainsi que de plusieurs stars et personnalités prestigieuses, en Belgique ou ailleurs. En 2018, il signe un intérieur de particulier, dont le mobilier est majoritairement dessiné par Pininfarina, avec de nombreux exemplaires uniques. Ismaël Boufrahi accompagne le projet, en tant que directeur artistique.
Cette expérience a été complétée par la commande, de la part du même client, pour réaliser «une Ferrari 488 one-off ‘Hommage à la Ferrari 212 Inter de 1952’, hommage à la première Ferrari dessinée par Gian-Battista Pininfarina, qui marquera la première collaboration entre celui-ci et Ferrari». Sur la base d’une Ferrari 488 Spider, une configuration identique de la 212 Inter est ainsi produite. L’entrepreneur belgo-marocain jongle ainsi entre les prestations auprès de marques de luxe et d’amoureux du raffinement.
«Il est important pour moi de montrer le potentiel créatif, qui allie efficacité managériale et affinités artistiques à la fois, de nos compétences belgo-marocaines. Le domaine professionnel du design et de la décoration d’intérieur n’est pas encore très investi, mais j’aime montrer, à travers mon parcours personnel, que c’est possible pour nous et pas uniquement pour les autres.»
Depuis 2020, Ismaël lance D-Style, showroom multimarques au mobilier haut de gamme, «le plus exclusif d’Europe, sinon du monde». Il aime décrire cet espace comme étant «à mi-chemin entre le showroom de mobilier et la galerie d’art». Il s’agit, pour lui, d’un «hommage d’abord au mobilier et à l’artisanat le plus authentique, mais aussi au monde de l’automobile et de l’horlogerie».
«Dans la culture marocaine, nous grandissons dans l’amour des belles choses, dans l’élégance et l’harmonie entre les goûts et les couleurs, que nous soyons issus d’un milieu ouvrier modeste ou d’une famille aisée. Cela fait partie de notre ADN au Maroc et nous pouvons l’investir dans le monde de l’entreprise du design», plaide Ismaël Boufrahi.