Alors que la pandémie du coronavirus continue sa progression dans le monde, certaines minorités ethno-raciales restent surreprésentées parmi les victimes de la Covid-19. Si des statistiques américaines et britanniques restent claires sur ce sujet, ce n’est toutefois pas le cas de la France, où cette question reste encore tabou dans les médias et même dans la recherche. De plus, «les données de santé n’identifient que rarement les origines des patient·e·s ou des personnes décédées», estiment la sociologue Solène Brun et le socio-démographe Patrick Simon.
Dans un article intitulé «L’invisibilité des minorités dans les chiffres du Coronavirus : le détour par la Seine-Saint-Denis» et publié dans la revue De facto de l'Institut Convergences Migrations, les deux chercheurs s’interrogent ainsi quant à la surmortalité due au Covid-19 en Seine-Saint-Denis. «Si la pauvreté est un facteur évident, les discriminations ethno-raciales ont, en toute vraisemblance, un impact sur l’exposition au virus», estiment-ils.
Une surmortalité en Seine-Saint-Denis
Les deux chercheurs, qui partent de l’hypothèse d’une surexposition se nourrit essentiellement du constat de forte surmortalité en Seine-Saint-Denis», rappellent quelques constats. «À âge identique, l’état de santé déclaré des immigré·e·s est globalement plus mauvais que celui des Français·es de naissance, ce qui apparaît étroitement lié aux conditions de vie précaires auxquelles ils font plus souvent face, mais aussi aux expériences de discriminations et de racisme, qui sont un facteur explicatif des inégalités de santé», estiment-ils. Solène Brun et Patrick Simon évoquent aussi que la mortalité supérieure des hommes descendants d’immigrés maghrébins et le fait que certains facteurs de comorbidité, associés à la Covid-19 comme le diabète par exemple, étaient étroitement liés aux conditions socio-économiques, mais aussi au pays d’origine.
Citant les données publiées chaque semaine par l’Insee à partir des décès enregistrés à l’état civil, les deux chercheurs soulignent que la Seine-Saint-Denis enregistre le plus fort taux de surmortalité en Île-de-France, sur la période du 1er mars au 19 avril. «Elle est ainsi de 130 % environ, contre 74 % à Paris et 122 % dans les Hauts-de-Seine», précise-t-on. Les deux chercheurs précisent toutefois que ces taux de surmortalité prennent en compte le lieu du décès et non le lieu de résidence des personnes décédées, sachant qu’entre le 1er mars et le 19 avril 2020, environ 24 % des personnes décédées résidant dans le 93 sont mortes en dehors du département, la moitié étant décédée à Paris.
Selon la base de données individuelles brutes de l’Insee et donc aux taux de mortalité en fonction du lieu de résidence, la surmortalité de la Seine-Saint-Denis passe à 134 %, contre 114 % pour les Hauts-de-Seine, et 99 % pour Paris. «La surmortalité des habitant·e·s du 93 est donc bien significativement supérieure aux autres départements de la région. Elle atteint jusqu’à 188 % pour les 75-84 ans (la tranche d’âge la plus concernée par la surmortalité). Parmi les personnes plus jeunes (50-64 ans), la surmortalité atteint 117 % (108 % dans le 92, 49 % à Paris)», explique-t-on.
Plusieurs facteurs d’une forte exposition
Les deux chercheurs expliquent cette «forte exposition au coronavirus de la population de Seine-Saint-Denis» par plusieurs facteurs, comme le fait qu’il s’agit du troisième département le plus densément peuplé, les conditions de logement et le fait que le département accueille également le plus grand nombre de foyers de travailleurs migrants de France. Précarité et pauvreté, racialisation et discriminations, et même la place du transport au commun dans le quotidien des habitants et les équipements de santé sont pointés du doigt.
Solène Brun et Patrick Simon affirment que «les immigré·e·s et leurs descendant·e·s sont surreprésenté·e·s en Seine-Saint-Denis, tout comme parmi les populations les plus précaires, ce qui est un effet des nombreuses discriminations auxquelles ils et elles font face». Ils plaident cependant pour une prise en compte du lien à la migration des personnes décédées afin de mesurer le rôle et les effets des discriminations ethno-raciales dans la situation de crise sanitaire actuelle.
En effet, les données actuelles de santé en France n’identifient que rarement les origines des patient·e·s ou des personnes décédées, tandis que ce déficit de statistiques concerne en partie la situation des immigré·e·s, mais surtout celle de leurs descendant·e·s, qui ne sont pris·es en compte qu’exceptionnellement dans les enquêtes.