Cette année, de nombreux athées, agnostiques, non musulmans ou simplement non-jeûneurs marocains, confinés en famille sont forcés de faire semblant de jeûner, le mois de Ramadan ayant coïncidé avec le confinement décrété par les autorités. Mais cette catégorie de Marocains se trouve obligée de cacher ses croyances et ses positions, ne souhaitant pas une crise familiale.
Si le fait de délaisser le culte durant les autres mois de l’année peut passer inaperçu, l’annoncer pendant le mois sacré peut causer des conséquences plus graves, dans une société où famille, voisins et collègues participent à la pression sociale.
Ainsi, selon les témoignages de ces Marocains non-jeûneurs, confinés ces jours avec leurs proches, certaines familles ne tolèrent pas de les voir manger ou fumer durant cette période, tandis que d’autres s’adaptent et deviennent plus flexibles.
Des non-jeûneurs dans la peau de musulmans pieux
«J'avoue que c'est une période difficile. Je n'arrive pas à me concentrer sur mon travail. Je me sens perturbé, dérangé», nous déclare Salim*. «Quand j'ai décidé de rentrer chez mes parents au début du confinement, je ne m'attendais pas à ce qu'il se prolonge jusqu'au 20 mai», raconte-t-il, expliquant ainsi pourquoi il préfèrerait «rester seul, à Casablanca, que rentrer» chez ses parents.
«Je me retrouve aujourd'hui obligé de faire semblant de jeûner. Cela fait cinq ans que je ne jeûne pas, par conviction personnelle. Vivant loin du domicile parental, Ramadan était devenu un mois comme un autre, ces dernières années.»
Tout change ainsi pour ce jeune marocain âgé de 23 ans qui se retrouve aujourd’hui à «planifier des heures pour grignoter un peu, boire de l'eau ou voler quelque chose du réfrigérateur». «Je suis fumeur, mais il m'est impossible de fumer librement et je dois ainsi attendre l'heure du ftour, comme tout le monde», ajoute-t-il.
Saïd*, 28 ans et également confiné avec sa famille, ne jeûne pas non plus. Il aborde pour sa part un autre type d’addiction. «Pendant la période de confinement, je me suis retrouvé obligé de jeûner toute la journée, bien que je ne mange pas lors du S’hour comme le fait ma famille», regrette-t-il.
Il reconnait que son «problème n'est pas la faim» mais plutôt… la caféine. «J'en suis accro et ne pas boire me cause des maux de tête, qui m’empêchent ainsi de me concentrer, alors que je fais du télétravail», déplore-t-il.
Pour ce salarié, faire semblant de jeûner n’émane pas d’une peur de la réaction de sa famille. «C’est plutôt parce qu'il serait difficile de les convaincre que nous n’avons pas la même foi et leur perception de moi peut changer, même s’ils ne sont pas, à la base, très pratiquants», note-t-il.
Les familles marocaines de plus en plus flexibles pendant le confinement ?
Mais le niet de certaines familles marocaines concernant le jeûne contraste avec la flexibilité de certains parents vis-à-vis de cette question. C’est le cas de Samad* pour qui le jeûne dépend de «certains facteurs». Il raconte ne pas avoir «jeûné l’année dernière» mais assure qu’il le fait cette année. «Je jeûne cette année pour des raisons de santé donc rien à voir avec la religion, car, de toute façon, je ne prie pas», ajoute-t-il.
Ce trentenaire originaire de Rabat n'a pas eu à vivre les situations délicates où il faut «se cacher pour manger ou fumer durant le mois sacré». «Ma mère, bien qu’elle soit pieuse, pratiquante et voilée, me demande souvent si je veux qu’elle me prépare le déjeuner pour midi, lorsque je suis à la maison pendant Ramadan», confie-t-il. Mais il souligne que sa famille ne partage pas beaucoup de traits avec les autres familles marocaines.
De son côté, Saad*, 24 ans, explique «le fait de ne pas jeûner pendant le mois de Ramadan posait de gros problèmes au sein de [sa] famille».
«Mes parents ont tenté, pendant un certain temps, de me convaincre de le faire. Maintenant, ils s’en fichent et moi aussi. De ce fait, je mange, je bois et je fume et ils le savent, sans rien me dire.»
Et cette flexibilité, Samir* et son frère, originaire de Rabat, l’ont constaté depuis le début du confinement. «C’était difficile pour mon frère et moi de sortir à l’extérieur de la maison pour griller une clope. Nous avons ainsi commencé à envahir la terrasse», raconte le trentenaire. «Au début, nous avions eu peur que nos parents apprennent que nous sommes tous les deux fumeurs. Je pense qu’ils ont fini par le comprendre, car mon père nous lance à chaque fois, avec un clin d’œil, :"N’oubliez bien de bien fermer la porte de la terrasse après avoir fini", chaque soir avant d’aller dormir», conclut-il, amusé.
* Les prénoms ont été changés