La crise sanitaire du nouveau coronavirus a déclenché un black out mondial inédit, au niveau des frontières des pays. Le Maroc a maintenu les siennes fermées dès le 15 mars. Depuis, 22 000 Marocains sont bloqués à l’étranger et plusieurs milliers de Marocains résidant à l’étranger sont quant à eux coincés au Maroc. Si la gestion du rapatriement des premiers est délicate (affrètement de vols spéciaux, tests, suivi médical et quarantaine), personne n’a compris la décision brusque des autorités marocaines d’empêcher le retour des MRE chez eux, via des vols spéciaux affrétés par leurs pays de résidence.
Aucune communication du ministère des Affaires étrangères n’est venue expliquer les raisons de revirement, alors que plusieurs Franco-marocains, par exemple, avaient pu rejoindre l’Hexagone via les premiers vols spéciaux. Les témoignages de MRE éplorés qui ont laissé famille, emploi et vie là bas n’ont pas obtenu réponse. Les pétitions, lettres ouvertes, comme celle des 500 MRE de l’Oriental, et autres communiqués d’associations n’ont pas obtenu d’explication non plus. Même le cas dramatique de «Papy Chocolat», ce chibani de 85 ans souffrant d’un cancer, et décédé à Figuig, n’avait pas déclenché de réactions au ministère.
Communication défaillante et crise en coulisse
Un déficit de communication que le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, reconnaît. Interpellé sur la question, il explique à Yabiladi que le Maroc n’a jamais empêché les MRE (binationaux ou non) de retourner dans leurs pays de résidence. Il en veut pour preuve les nombreux vols vers la France, mais aussi le Canada, et plus récemment celui groupé pour les pays scandinaves, qui avaient à leur bord de nombreux MRE. Au total, le Maroc a autorisé plus de 500 vols spéciaux qui ont rapatrié plus de 80 000 personnes bloquées vers leurs pays de résidence.
Entre la fluidité des débuts et les situations disparates en fonction des pays, ces derniers jours, de vieilles tensions diplomatiques ont ressurgi, notamment avec les Pays-Bas. Alors que 25 vols spéciaux ont permis le rapatriement des néerlandais et MRE sans distinction, la demande d’un vol spécial pour les binationaux bloqués dans le Rif a provoqué l’ire de Rabat. «Il y a une mauvaise fois des Pays-Bas qui ont présenté cette demande comme principe de défense des binationaux même dans leur pays d’origine», insiste le chef de la diplomatie. «Ils ont tenté de faire ressurgir un vieux débat politique en profitant de cette crise sanitaire. Ce n’est pas acceptable pour le Maroc», assène-t-il encore.
L’ombre du Hirak du Rif
En effet, des tensions diplomatiques récurrentes éclatent au sujet des binationaux, depuis le soutien du chef de la diplomatie néerlandaise au Hirak du Rif. Stef Blok avait également conseillé aux Marocains installés dans son pays de «faire attention» une fois de retour au Maroc. En 2018, le Maroc avait convoqué à deux reprises l'ambassadeur néerlandais à Rabat. En 2019, les relations s'étaient quelque peu adoucies, même si le royaume a refusé de reçevoir Mme Ankie Broekers-Knol, secrétaire d'Etat à la Justice et la sécurité, en novembre dernier. Les relations entre les deux les pays buttent également sur le cas Saïd Chaou, Rabat voyant d’un mauvais d’œil l’activisme politique de l’ancien député du PAM au pays des Tulipes.
La crispation du Maroc a conduit à une nouvelle politique pour l’autorisation au cas par cas, en fonction des dialogues diplomatiques bilatéraux. Ainsi, un vol pour le Royaume-Uni avec à son bord plusieurs Marocains a pu être programmé par Londres. La situation avec la Belgique est en train de se détendre également. «La Belgique a accepté de ne pas faire de distinction entre nationaux, binationaux, et marocains sans autre nationalité», nous a annoncé Nasser Bourita.
La situation extrêmement difficile des ces milliers de MRE peut-elle être l’enjeu d’un bras de fer diplomatique en pleine pandémie ? «C’est une manipulation pour mettre le Maroc devant le fait accompli et ainsi s’ingérer à l’avenir dans la relation entre le royaume et ses citoyens sur le sol marocain», répond le chef de la diplomatie. Une question de respect de la souveraineté que le Maroc ne compte pas laisser passer.