L’équation est simple : plus d’éducation égal moins de fécondité. Une formule que les auteurs Elise Lévêque et Sébastien Oliveau élargissent par une analyse de l’évolution de la fécondité dans le pourtour méditerranéen par le prisme de l’éducation. Pour ça, ils ont pris en compte les dimensions spatiales et temporelles, mais aussi sociales et culturelles, de la fécondité. L’étude, intitulée «La transition de la fécondité autour de la Méditerranée : convergence générale et hétérogénéités spatiales, un éclairage par l’éducation» (2019), a été menée dans quatre pays : le Maroc, la Turquie, la France et l’Espagne.
«La décision de faire un enfant ou pas est liée à un certain nombre de critères personnels, mais surtout majoritairement sociaux. Ce que votre famille, vos amis, les groupes dont vous faites partie ou que vous suivez, qu’ils soient religieux ou politiques, pensent du fait d’avoir un enfant, exercent une influence sur cette décision. Les gens adoptent les mêmes comportements que les personnes ou groupes qui les entourent», note sobrement Sébastien Oliveau, contacté par Yabiladi.
Le niveau de fécondité du Maroc proche de celui de la France
Par ses vertus émancipatrices, l’éducation joue sans conteste un rôle primordial dans la baisse de l'indice de fécondité : elle permet, dans un premier temps, de se distancier des discours entendus dans le cercle familial, première source d’influence. «Dans une autre mesure, l’éducation permet de fréquenter des gens issus d’autres milieux sociaux que vous : plus on est éduqués, plus on est connectés à des gens qui ne font pas partie de cette proximité immédiate. Faire des études, ça signifie aller en ville, se connecter à d’autres sources d’information. On s’aperçoit que les gens plus éduqués ont tendance à avoir des comportements moins liés à ceux des personnes dont ils sont proches ; donc de se libérer. Plus les gens sont éduqués, plus ils pensent par eux-mêmes», résume Sébastien Oliveau.
Autre effet indirect de l’éducation : le recul de l’âge du premier enfant. «Si une femme quitte l’école à 15 ans, cela signifie qu’à partir de 16 ans elle est disponible pour faire des enfants. Au contraire, si elle poursuit ses études jusqu’au master, elle n’en aura probablement pas avant 23 ans. Cela signifie qu’elle a "perdu" – sans connotation négative – huit années pendant lesquelles elle aurait pu faire des enfants. Finalement, même si une femme n’utilise pas de contraception, elle aura plus d’enfants si elle commence à en faire à 16 ans qu’à 23», ajoute le chercheur.
«Le Maroc et la Turquie ont vu leur transition s’amorcer au cours du XXe siècle et s’opérer à des rythmes élevés. Ils atteignent aujourd’hui des niveaux proches de celui de la France : 2,5 enfants par femmes en 2015 pour le Maroc ; 2,05 enfants par femme en 2015 pour la Turquie», indiquent les auteurs dans leur étude.
Convergence régionale
Graphique à l’appui, Elise Lévêque et Sébastien Oliveau font état d’une homogénéité, dans les années 80, des indices de fécondité des différentes régions du Maroc, balayant l’idée de quelconques inégalités régionales. «Dans les années 80, la région ayant l'indice de fécondité le plus bas était à 4 enfants par femme, contre 6,5 pour celle où il était le plus élevé, soit un écart de 2,5 enfants par femme entre la région la plus féconde et celle la moins féconde», note Sébastien Oliveau. Ce démographe observe un effet de rattrapage très fort et d’homogénéisation régionale : en l’espace de vingt ans, à l’ère de deuxième millénaire, l’ensemble du Maroc était à trois enfants par femme pour les femmes les moins éduquées.
Plus précisément, «la plus forte baisse de la fécondité est observée au cours de la période 1982-1994. Entre 1994 et 2004, la baisse de fécondité se poursuit pour l’ensemble des régions, mais elle connaît un profond ralentissement. En outre, la dispersion entre les régions s’amenuise clairement, passant de plus de 2,5 enfants d’écart en 1985 à un peu plus d’un enfant par femme en 2004», lit-on dans l’étude.
Une convergence régionale d’abord recensée dans les régions motrices que furent Casablanca d’abord ; Rabat ensuite. «Ces territoires leaders en matière de baisse de la fécondité ont progressivement influencé l’ensemble des régions. Aujourd’hui, la majeure partie des grandes villes marocaines ont sensiblement toutes les mêmes niveaux de fécondité», complète Elise Lévêque, coauteure de l’étude, contactée par Yabiladi. Et d’ajouter : «Au-delà d’une convergence régionale, on enregistre également une forte ressemblance entre milieux urbains et milieux ruraux. Dans les années 80, les écarts en termes de fécondité étaient très importants entre les femmes éduquées et les femmes moins, voire pas du tout éduquées. Depuis, ces écarts, même s’ils subsistent, se sont nettement réduits.»
Investir moins mais investir mieux
Cette réduction des écarts entre territoires ruraux et urbains traduit donc une baisse de la fécondité chez les femmes les moins éduquées, voire pas éduquées du tout. L’un des facteurs, explique Elise Lévêque, réside dans le «malthusianisme de pauvreté». Conceptualisée par l’économiste Thomas Malthus, le malthusianisme est une doctrine qui préconise la limitation des naissances, dans une perspective sociale. Elle s’appuie sur la théorie selon laquelle la population augmente plus rapidement que les ressources utiles à son alimentation.
Par «malthusianisme de pauvreté», Elise Lévêque entend la situation dans laquelle une femme peu ou pas éduquée a tendance à réduire sa fécondité pour assurer à ses enfants un avenir plus radieux que le sien. «Elles souhaitent que leurs enfants s’élèvent socialement dans la société, aient un bon niveau d’instruction et une bonne situation», résume Elise Lévêque. En somme, investir moins mais investir mieux.