Mardi à la Chambre des conseillers, le ministre de l’Emploi et de l’insertion professionnelle, Mohamed Yatim, s’est enfin exprimé sur la position du Maroc envers la ratification de la Convention internationale contre les violences et le harcèlement dans le milieu du travail, que le pays a votée parmi les 439 voix l’ayant approuvée (30 abstentions et 7 contre) lors de la 108e Conférence de l’OIT (CIT), tenue en juin dernier à Genève en marge du centième anniversaire de l’institution onusienne.
Devant les députés de la deuxième chambre, Mohamed Yatim a ainsi promis de mettre en œuvre les instruments nécessaires à cette ratification, tout en s’adressant aux groupes parlementaires des syndicats pour les rassurer sur le fait que «le ministère reste ouvert à toutes les propositions de travail dans ce sens».
En effet, cet instrument international est le premier du genre à être contraignant en matière de lutte contre les violences dans le monde professionnel. Il inclut des directives sur son application, notamment la reconnaissance officielle par les Etats et les employeurs que la violence et le harcèlement constituent «une violation flagrante des droits humains, une menace à l’égalité des chances et à la stabilité économique», surtout des femmes.
Un mécanisme international pour renforcer l’arsenal juridique national
Intervenant à ce sujet au sein de la deuxième Chambre, c’est la cheffe du groupe parlementaire de l’Union marocaine du travail (UMT), Amal El Omari, qui a questionné le ministre sur la ratification du texte par le gouvernement marocain.
Dans ce sens, elle rappelé que dans le pays, ces formes de d’exclusion «continuent de priver les femmes actives de leur droit à une vie professionnelle sûre et à des conditions de travail décentes, ainsi que du droit de toute personne à un environnement salarial garanti sans violence ni harcèlement».
«Malgré l’absence de statistiques officielles précises sur ce phénomène, il faut dire que ce dernier perdure sous toutes ses formes (harcèlement, violence physique et psychologique, agressions sexuelles, économiques et verbales…)», rappelle Amal El Omari, en soulignant «l’abus de pouvoir hiérarchique, d’influence et de menaces, particulièrement dans le secteur informel».
De plus, la cheffe de l’UMT à la deuxième Chambre décrit la situation comme «une réalité quotidienne et un terrain fertile pour l’exploitation de la main-d’œuvre à coût bas, principalement les ouvrières agricoles», en allusion aux récentes affaires et plaintes de travailleuses marocaines de champs dans le pays ou à l’étranger, comme en Espagne avec l’affaire Huelva.
«La mise en œuvre des dispositions de cette convention créera un environnement de travail plus décent et plus sûr pour les femmes et les hommes et préservera leur dignité car sans celle-ci, nous ne garantissons ni les droits des travailleurs ni la justice sociale.»
Dans ce sens, elle rappelle que la loi 103.13 relative à la lutte contre la violence à l’égard des femmes, le Code pénal et le Code du travail «sont des arsenals juridiques insuffisants pour protéger les travailleuses dans leur espace professionnel». S’adressant au ministre, elle soutient qu’«à ce jour, le Code du travail, lui, considère simplement le harcèlement sexuel comme «une grave erreur, sans des sanctions légales fermes à cet effet».
Une ratification suivie par les associations
Le large débat ayant précédé le vote de cette convention a été suivi de près par les actrices de la société civile. C’est le cas de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM). Membre fondatrice de l’organisation, Khadija Rebbah affirme à Yabiladi que celle-ci a en effet tenu «une série de rencontres de travail avec les consœurs syndicalistes pour mener à bien ce projet», se félicitant du vote positif du royaume.
«Maintenant, sa ratification reste importante après envoi aux Etats, pour renforcer les stratégies nationales relatives à l’égalité dans le milieu du travail et à la lutte contre toutes les formes de discrimination, notamment celles basées sur le genre», soutient la militante. «Le fait de le rappeler au ministre de tutelle, hier au sein de la Chambre des conseillers, est un point positif, d’autant plus que nous avons nous-mêmes fait une étude de terrain sur les droits salariaux, dont nous avons partagé les résultats avec les conseillères syndicalistes», nous affirme Khadija Rebbah.
Selon l’étude de l’ADFM, «les violences sous toutes leurs formes et visant particulièrement les femmes sont très présentes dans le milieu du travail, de même que le harcèlement sexuel et plusieurs autres types d’exclusion». «Il est donc temps plus que jamais de nous munir d’un véritable mécanisme de protection des droits des femmes dans leur environnement professionnel», plaide aujourd’hui la militante.
«La ratification devra donner lieu à une harmonisation de nos lois internes avec la Convention, notamment le Code du travail et la stratégie nationale pour l’autonomisation des femmes (…) A ce moment-là, nous pourrons dire que nos textes garantissent une protection effective aux travailleuses, qu’elles évoluent dans le secteur privé ou public.»
Dans ce sens, l’ADFM dit assurer la continuité de la coordination avec les députées, surtout celles de la deuxième Chambre au sein des groupes syndicaux, pour «aborder toutes ces questions au Parlement et faire que cette convention soit ratifiée dans de brefs délais», tout en veillant sur son application effective. Si ce stade est franchi, l’espoir que le vide juridique sur ces questions soit comblé au niveau des dispositions nationales peut devenir une réalité.