«Parmi les principales caractéristiques de l’année 2018, au niveau des droits humains, l’Etat persévère dans l’adoption d’une méthode arbitraire selon son approche autoritaire». C’est ainsi que l’Association marocaine des droits humains (AMDH) fait le bilan de l’année 2018 dans son rapport présenté ce vendredi à Rabat. Le document de plus de 200 page prend les procès des militants du Hirak du Rif et de Jerada comme des indicateurs principaux de son évaluation.
En effet, pour l’association la condamnation de 1 à 20 ans de prison ferme à l’encontre de Nasser Zefzafi et d’une quarantaine d’autres manifestants d’Al Hoceïma «confirme que l’Etat n’a pas rompu avec les usages du passé et que la philosophie de ne pas reproduire ces actes comme émané des travaux de l’Instance équité et réconciliation ne se traduit pas dans les faits».
Des procès politiques qui rappellent «les usages du passé»
Une partie importante de ce rapport parvenu à Yabiladi est consacrée aux droits civils et politiques, dans un contexte où les mouvements sociaux se sont multipliés dans différentes régions (Rif, Oriental, sud-Est…). Ainsi, ce document rappelle pour le cas des détenus du Hirak du Rif qu’ils «ont été torturés et maltraités depuis leur interpellation jusqu’à la prison, en passant par les lieux de privation de liberté sans bénéficier des pleins droits garantis par la loi».
L’ONG considère également que les procès-verbaux des détenus, considérés comme politiques, auraient été signés sous la contrainte, tandis que leur présomption d’innocence n’a pas été respectée au cours des différents stades du procès en première instance puis en appel. Dans ce sens, ce rapport prend acte des «refus systématiques de nombre de requêtes de la défense» par le procureur et le juge, en plus du non-respect des Règles Nelson Mandela en matière de traitement des détenus telles que définies par les Nations unies.
De plus, l’AMDH souligne que les vidéos ayant fuité montrant Nasser Zefzafi dévêtu comme preuve réfutant ses allégations de torture n’a toujours pas fait l’objet d’une enquête, d’autant plus que «la plainte a été rejetée en cassation sous prétexte de manque de preuves alors que l’ensemble de l’opinion publique a pu visionner la vidéo via Internet».
Concernant le Hirak de Jerada, l’AMDH retient l’interdiction des rassemblements publics non-autorisés, le 13 mars 2018 par le Pacha de Jerada et «l’appui du ministère de l’Intérieur à cette décision». La mesure a ravivé des tensions déjà présentes au niveau de la province, poussant ainsi les civils à manifester le lendemain près des mines de charbon, sur fond de forte présence policière, donnant lieu à des affrontements marqués par l’usage de bombes lacrymogènes.
«Au cours des heurts, un garçon de 15 ans a été écrasé par un véhicule ; il est toujours hospitalisé à Casablanca, ce qui menace son droit élémentaire à la vie», souligne l’association.
Le droit à la vie à la trappe ?
Concernant le volet relatif aux droits civils et politiques, et notamment le droit à la vie, l’AMDH dit avoir recensé «plus de 125 morts en 2018, parmi des centaines d’autres cas». Dans ce sens, elle énumère «sept cas de décès dans les postes de police pendant la mise en garde à vue, une mort (Hayat Belkacem) résultant de tirs ciblant des citoyen(ne)s, une mort (Fadila Akkioui) suite aux actes de violence perpétrés par des agents des forces auxiliaires contre un sit-in, sept décès au sein des prisons, ...»
L’AMDH fait également état de décès au cours de gardes-à-vue, notamment des cas enregistrés à Témara le 3 janvier 2018, à El Aroui le 16 janvier de la même année, à Midelt le 22 janvier, ou encore un autre à Marrakech, deux jours plus tard. D’autres cas ont été recensés, le 7 novembre 2018, à Essaïdia le 1er et le 9 août dans la capitale économique.
L’AMDH a recensé tout autant des cas dans le milieu carcéral pour différentes raisons, telles que la «négligence médicale» à Oujda, des grèves de la faim à Inezgane, Tanger et Kénitra, ou encore une détérioration de l’état de santé d’un détenu dans le cadre d’affaires de terrorisme à Rabat.
Ce rapport traite aussi d’autres thématiques rattachées aux droits humains, telles que «les droits économiques, sociaux et culturels dont les droits au travail, la protection sociale, le droit à l’éducation, le droit à l’enseignement supérieur, le niveau de vie et l’état de pauvreté, la situation des droits culturels et linguistiques», le droit d’accès à la santé, les droits des femmes, des enfants, des personnes en situation de handicap, les questions rattachées à l’asile et à la migration ou encore le droit à un environnement sain.
Ces données ont été collectées «soit de façon directe par ses sections dans les différentes villes et régions (91 sections, des commissions préparatoires pour la constitution de nouvelles sections, 10 sections régionales dont trois à l’étranger) soit via la couverture médiatique». De manière globale, le rapport fait état «d’importantes régressions, continuelles et flagrantes concernant plusieurs acquis obtenus grâce au mouvement de défense des droits humains».