Le chiffre est effarant : 70% des adultes marocains âgés de moins de 30 ans manifeste un fort désir de quitter leur pays, l’Europe étant leur destination privilégiée. Ce chiffre émane du plus grand sondage d’opinion jamais réalisé dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient, d’après The Guardian. Une enquête menée par BBC News Arabic et le réseau de recherche Arab Barometer, basé à l’université de Princeton (Etats-Unis), auprès de plus de 25 000 personnes dans 10 pays : Algérie, Egypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie, Yémen, et dans les territoires palestiniens.
Le sondage se concentre sur six volets : la politique, la religion, la migration, les droits des femmes, la santé mentale et les droits des personnes LGBT. Sur le front migratoire, le souhait d’émigrer a été formulé par près de la moitié de la population interrogée en Jordanie et au Soudan, contre un tiers en Irak. Les Égyptiens, Soudanais et Yéménites ont déclaré qu’ils opteraient plutôt pour les pays du Golfe dans le cas où ils émigreraient, alors que les Jordaniens et les Libanais ont confié préférer l’Amérique du Nord. Les chiffres révèlent par ailleurs que les migrants potentiels seraient prêts à partir sans papiers officiels : plus de 40% des Algériens, Soudanais et Tunisiens et 38% des Irakiens, Marocains et Yéménites.
Sur le volet politique, l’enquête indique que «seuls 12%» des pays étudiés partagent une opinion positive du président américain Donald Trump. Ils sont en revanche plus de deux fois plus nombreux (28%) à avoir une opinion positive à l’égard de Vladimir Poutine (Russie), contre 51% pour Recep Tayyip Erdogan (Turquie). «Ce qui ressort principalement dans la grande majorité des pays étudiés, c’est le sentiment que les gouvernements ne répondent pas aux attentes de leurs citoyens», observe Michael Robbins, directeur de l’Arab Barometer. «Souvent, la confiance dans le gouvernement suit plus étroitement les performances en matière de sécurité que sur les questions économiques», ajoute-t-il.
Les Marocains plus tolérants envers l’accessibilité des femmes à de hautes fonctions politiques
L’enquête fait état également d’une baisse de la religiosité auprès des personnes sondées. La proportion d’individus déclarant ne pas être religieux est ainsi passée de 11% en 2012-2014 à 18% en 2019. La confiance envers les chefs religieux a diminué partout – exception faite du Yémen –, l’Irak, la Palestine et le Soudan ayant enregistré les baisses de confiance les plus fortes.
Concernant les droits des femmes, les résultats de l’enquête montrent que la plupart des personnes interrogées appuient le droit d’une femme à divorcer de son mari, mais estiment que la décision finale concernant les affaires familiales revient à l’homme et non à la femme. De plus, la majorité des répondants déclarent que les femmes devraient être autorisées à assumer les fonctions de chef du gouvernement dans un pays musulman (91% des cas), mais la même marge estime que les hommes sont de meilleurs dirigeants politiques. La possibilité qu’une femme devienne présidente ou première ministre a été jugée la plus acceptable au Liban, au Maroc et en Tunisie, et moins acceptable en Algérie et au Soudan. «Les femmes du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord sont de plus en plus éduquées et participent de plus en plus au marché du travail, mais leur autonomisation restera incomplète tant qu’elles demeureront exclues des postes de décision et de la participation politique», analyse Dima Dabbous, directrice régionale de l’ONG Egality Now pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, spécialisée dans la protection et la promotion des droits des femmes dans le monde entier.
Sur la question des droits des personnes LGBT, 5% des personnes interrogées ont déclaré qu’il était acceptable d’être gay. Ce taux était de 6% au Liban, contre 7% en Irak, en Jordanie et en Tunisie. D’après le sondage, c’est l’Algérie qui fait preuve de la plus forte tolérance, 26% des répondants dans ce pays n’ayant exprimé «aucune objection» à l’homosexualité.
Enfin, dernier front : celui de la santé mentale. En moyenne, une personne sur trois a déclaré se sentir déprimée, la proportion la plus élevée ayant été observée en Irak (43%), en Tunisie (40%) et en Palestine (37%). Les femmes et les répondants précarisés sont les plus touchés. Au Maroc, ce taux plafonne à 20%.