Avec la proclamation de l’indépendance d’Israël, le 14 mai 1948, les Etats arabes s’étaient empressés de déclarer la guerre aux milices sionistes présentes en Palestine. Mais les forces arabes essuieront une défaite lors de la «Guerre de Nakba». Le sionisme venait de prolonger ses racines dans la terre palestinienne.
Trois jours après la proclamation de l’état sioniste, l'Union soviétique reconnait Israël en tant qu’Etat naissant, avant que d’autres pays ne lui emboîtent le pas.
La gauche marocaine et la proclamation d'Israël
Lors de la déclaration d'Israël, le Maroc était encore sous protectorat français. Mais le mouvement national avait rapidement annoncé sa position aux côtés des Palestiniens. Le Parti Istiqlal avait alors publié un communiqué dans lequel il critiquait la résolution des Nations unies de diviser la Palestine et de proclamer un Etat juif sur une terre palestinienne.
Pour sa part, le sultan marocain Mohammed Ben Youssef avait prononcé un discours mettant en garde les Marocains de confession juive vis-à-vis du fait de «montrer leur solidarité avec l'ennemi sioniste».
Cette proclamation avait impacté la coexistence, au Maroc, de musulmans et juifs, datant de plusieurs siècles. Ainsi, le 7 juin 1948, des manifestants s’étaient dirigés vers le quartier juif d’Oujda et avaient tué cinq Marocains de confession juive. Le lendemain, 37 personnes sont tuées à Jerada, dont le rabbin de la ville.
Mais la colère populaire et officielle n’avait pas été partagée par le Parti communiste marocain, fondé en novembre 1943. Ce dernier avait appelé à se concentrer sur les problèmes nationaux plutôt que sur ceux éloignés du Maroc.
Moins de deux semaines après la proclamation d'Israël, le journal francophone Espoir du parti communiste marocain rappelait, selon l'ouvrage «Le mouvement national marocain et la question identitaire» d’Abdellah Belqziz, «la misérable situation dans laquelle se trouvent les paysans et les mineurs dans les prisons d'Ain Moumen, d’El Ader et de Casablanca». Avant cela, le même journal écrivait :
«Pour ceux qui utilisent les événements de la Palestine pour qu’elle devienne l’affaire préoccupante de cette période, il faut savoir que la question principale est celle du Maroc. Autrement, ce sont des tentatives pour détourner l'attention du peuple marocain de la lutte pour réaliser ses espoirs.»
Après les événements d'Oujda et de Jarada, le parti avait dénoncé tous ceux qui «exploitent certains événements qui se déroulent très loin du Maroc pour diviser et détourner l'attention du peuple marocain».
L'annonce de la création d'Israël. / Ph. DR
Les raisons des positions du parti communiste
Dans son livre, Abdellah Belqziz évoque quatre facteurs principaux ayant dominé les positions du Parti communiste sur la question palestinienne. Le premier était la présence d’Européens dans ses rangs, étant une formation affiliée au Parti communiste français, ainsi qu’un grand nombre de Juifs marocains. Le parti, en vertu de son référentiel laïque, a été en mesure de présenter un projet tentant pour la communauté juive et un espace lui permettant de surmonter la situation du point de vue islamique.
Le deuxième facteur était la relation du PCM avec son homologue français qui ne lui permettait pas de mener une politique dissonante. Les slogans des partis communistes européens demeuraient donc la référence principale pour ceux formulés au Maroc.
Le troisième facteur était le lien entre le parti communiste et l'Union soviétique. Ce dernier étant le premier à reconnaître Israël, son homologue marocain et nombre de partis communistes arabes avaient été incapables d'adopter une approche politique indépendante quant à la situation en Palestine. Ils iront jusqu’à défendre la position soviétique.
«Oui, l'Union soviétique a le droit de reconnaître l'Etat d'Israël, comme elle aurait reconnu en même temps un Etat de Palestine arabe s'il avait été créé conformément aux résolutions des Nations unies.»
En ce qui concerne le quatrième facteur, il réside, selon Abdelilah Belqziz, dans la confusion du parti et l’incompréhension de la nature du projet colonial sioniste. Ainsi, le journal de la formation politique avait indiqué que «quels que soient les calculs, il faut enfin accepter que des centaines de milliers de Juifs qui constituent une nation naissante sur la terre palestinienne ont le droit de constituer leur Etat [et] nier cela signifie de ne pas reconnaitre le droit des peuples à l'autodétermination».
Le changement de positions de la gauche marocaine
Depuis la création du Parti communiste, la gauche marocaine était sous l'influence de l'Union soviétique et se contentait de reproduire les positions de Moscou.
L'Union soviétique estimait qu’un «nouvel Etat au Moyen-Orient» pourrait faire partie du camp oriental, d'autant plus que nombre de dirigeants israéliens de l'époque étaient d'origine russe ou polonaise. Les chances d'adopter une politique sympathique et pro-soviétique étaient importantes.
L’Union soviétique était encouragée à tendre la main à Israël dès sa proclamation, puisqu’elle n’avait pas de relations avec la plupart des pays arabes, à l’exception de ses rapports avec les partis communistes. Ces derniers étaient également des formations interdites dans certains pays arabes, et tolérés dans d’autres.
Mais quelques années plus tard, il s’était avéré clairement aux Soviétiques que parier sur Israël comme la première étincelle d'un socialisme généralisé dans la région n'était pas bon. Moscou rompt alors ses liens avec Tel Aviv en 1953, puis de nouveau en 1967, lors qu’Israël refusait un cessez-le-feu dans sa guerre avec les Etats arabes. Les relations diplomatiques entre les deux pays ne se rétabliront qu’en 1991.
Les figures emblématiques du Marxisme- Léninisme, Marx, Engels, Lénine et Staline. / Ph. DR
La position soviétique a eu une grande influence sur les pays appartenant au camp socialiste et sur les partis de gauche, y compris marocains, qui avaient réexaminé leur position sur la question palestinienne.
Avec l'émergence des mouvements marxistes-léninistes au Maroc au début des années 1970, l'équation avait radicalement changé. Ces courants avaient commencé à critiquer vivement la position de l'Union soviétique sur la proclamation d'Israël, ainsi que la position hésitante du parti de la libération et du socialisme (ex-parti communiste et qui deviendra le parti du progrès et du socialisme) sur le plan du secrétaire d’Etat américain William Rogers pour «régler la question palestinienne».
La gauche marxiste-léniniste marocaine s’était ensuite étroitement liée à la gauche palestinienne depuis son émergence, particulièrement après le conflit ayant éclaté en Jordanie entre les forces armées jordaniennes dirigées par le roi Hussein et l'Organisation de la libération de la Palestine en 1970, ayant fait des milliers de morts.