Les relations bilatérales entre le Maroc et la Libye ont été marquées par des décennies d'animosité et de méfiance sous le règne du roi Hassan II. La situation s'est aggravée lorsque la Libye a commencé ouvertement à soutenir le Front Polisario.
Mais même après le décès du roi Hassan II et l'ascension du roi Mohammed VI au trône, les relations entre Rabat et Tripoli sont restées froides. Malgré les efforts du Maroc pour surmonter les divergences et normaliser ses relations avec la Libye au début du 21e siècle, un comportement du colonel Mouammar Kadhafi aurait empêché les deux pays de surmonter l’impasse.
Le commentaire agaçant de Kadhafi
En novembre 2000, le Premier ministre marocain Abderrahmane Youssoufi annonce que le roi Mohammed VI se rend pour la première fois en Libye. Sur ce déplacement, le journal international arabe Asharq Al Awssat a rapporté que le monarque marocain avait informé l'ancien Premier ministre libyen Moubarak al-Shamikh de son intention de se rendre en Libye.
Selon le livre du journaliste et écrivain soudanais Talha Jibril, intitulé «Le roi et le colonel» (Dar Bou Regreg, 2013), le roi Mohammed VI s'est rendu en Libye en janvier 2001. Le journaliste soudanais faisait même partie d’une «délégation de presse accompagnant le monarque marocain pour sa visite».
L’auteur précise que ce déplacement de taille avait pourtant été marqué par «l’improvisation en termes de protocole» en Libye. «Même le dîner, organisé par le colonel Mouammar Kadhafi en l'honneur du roi Mohammed VI dans une tente en béton» n’aurait pas été à la hauteur, ses plats «étant modestement préparés par des cuisiniers yougoslaves».
De plus, ajoute le journaliste, Kadhafi s’est adressé au roi marocain en répétant «mon fils Mohammed», ce qui «n’a pas été très apprécié par le roi Mohammed VI, même s'il a préféré cacher son mécontentement». En outre, durant la rencontre, le colonel libyen a tenu à exhiber une photo de lui avec le roi Hassan II, «ce qui n’avait aucun sens». Le récit du journaliste soudanais a été confirmé par l'ancien ministre des Affaires étrangères libyen Abdel Rahman Shalgham, qui avait déclaré dans une interview publiée le 11 juillet 2011 par le journal londonien Al-Hayat, que Kadhafi avait été «impoli» avec plusieurs dirigeants arabes.
Le roi Mohammed VI et le colonel kadhafi en Libye. / Ph. DR
«Kadhafi a une fois appelé le président tanzanien (Jakaya Kikewete, ndlr), qui avait 61 ans, ‘’mon fils’’», a ainsi déclaré Abdel Rahman Shalgham.
«Le colonel libyen a fait la même chose avec le roi Mohammed VI, qui n'a pas aimé cette appellation, avec le roi Abdullah II (de Jordanie, ndlr) et Bachar Al Assad. Imaginez donc Kadhafi dire au président américain ‘’mon fils Obama’’!»
Pour l’ancien diplomate libyen, le colonel utilisait cette méthode pour «convaincre ses destinataires qu'il est plus important et le plus expérimenté».
Kadhafi et Youssoufi
Durant sa rencontre avec le roi Mohammed VI, Kadhafi avait passé la majeure partie du temps à évoquer des sujets d’ordre général. «Il s’était même attardé sur la Communauté des États sahélo-sahariens, une zone de libre-échange créée en 1998 en Afrique», poursuit Talha Jibril, avant qu’il invite officiellement le monarque alaouite à participer au sixième Sommet de cette communauté, ayant eu lieu à Khartoum, au Soudan.
Mais le roi Mohammed VI a fini par ne pas assister à ladite rencontre, préférant dépêcher le Premier ministre Abderrahmane Youssoufi dans la capitale soudanaise pour représenter le Maroc. Ce qui n’a pas été au goût du colonel Kadhafi. Lorsque ce dernier a rencontré le ministre marocain, le dirigeant libyen n’a pas pu cacher son «mécontentement», faisant part à Youssoufi de sa «déception» de ne pas voir le roi prendre part à cette réunion, comme promis lors de la rencontre de Tripoli.
Lors dudit sommet, un quiproquo opposera par ailleurs Kadhafi à Youssoufi sur le conflit au Sahara. Ce jour-là, lors de leur rencontre, Kadhafi a insisté pour appeler Youssoufi «Abderahim», même si les collaborateurs du colonel lui avaient souligné cette «erreur». «C’était sa façon de provoquer», commente le journaliste soudanais.
En dépit de la visite du roi Mohammed VI en Libye, les relations entre les deux dirigeants sont restées marquées par l’animosité et la méfiance. Kadhafi n'a d’ailleurs pas cessé d'apporter son aide et son soutien au Front Polisario.
Kadhafi en compagnie de Mohamed Abdelaziz, ancien dirigeant du Polisario. / Ph. DR
En 2009, le colonel ira même jusqu’à inviter l'ancien dirigeant du Polisario, Mohamed Abdelaziz, aux festivités commémorant la «révolution libyenne du 1er septembre» 1969, ce qui provoquera à nouveau la colère du roi Mohammed VI. Le monarque ordonnera à une «délégation marocaine qui assistait à la manifestation de se retirer et de quitter la Libye», rapporte Talha Jibril. Selon ce dernier, même des militaires marocains devant prendre part aux festivités se retireront pour rentrer au Maroc.
Mais Kadhafi arrêtera de provoquer le Maroc, occupé par les lourds dossiers dans lesquels son régime était impliqué et son rêve de concrétiser son envie de devenir un leader africain et de s’accaparer du titre de «roi des rois traditionnels d’Afrique».