Né en 1959 à Settat, d’un père instituteur originaire de Marrakech et d’une mère originaire de Fès, Mohamed Lotfi a baigné dans un environnement intellectuel dès son plus jeune âge. Ses origines, il préfère pourtant ne jamais les mettre en avant, quitte à ce que son nom de scène ne porte pas son patronyme.
«Je suis issu de la famille Laraki, connue à Fès, mais mon nom de plume et d’artiste ne le reprend pas, car lorsqu’on porte un nom de famille particulier au Maroc, ça devient tout de suite assez tendancieux et on vous voit plus à travers votre famille et vos ascendants qu’à travers ce que vous êtes», nous confie-t-il.
Son père, ancien résistant et enseignant de langue arabe, lui fait aimer les livres et la poésie très tôt. La petite famille déménage ensuite à Casablanca, à Mohammedia puis à Salé et enfin à Rabat, où la graine d’artiste aiguise sa fibre pour le théâtre, la dance et l’écriture.
Mohamed Lotfi dans le cadre de son émission radiophonique Souverains anonymes / Ph. Mohamed Lotfi
Une jeunesse passée entre l’art et l’écriture
Dans le quartier Hassan, Mohamed Lotfi revient quatre mois par an pour retrouver cet environnement où il a eu la chance de grandir, entre une bibliothèque, des centres culturels étrangers et un espace artistique pluridisciplinaire. C’est dans cet univers qu’il dit «se fabriquer un pays à soi-même à travers ce que l’on a vécu».
Dans celui de Mohamed Lotfi, la figure féminine reste omniprésente, à travers sa mère, chez qui il dit reconnaître «toutes les mamans marocaines». «Les Marocains aiment beaucoup la cuisine, mais en m’intéressant à la cuisine de ma mère, je m’intéresse et je rends hommage à celle de toutes les cheffes de famille marocaines qui sont les gardiennes de ce patrimoine».
Aujourd’hui photographe, il a aussi «grandi avec un père qui a été un héros, perçu comme tel par ses élèves et leurs parents». Douze ans plus tard, son géniteur est affecté à la Bibliothèque nationale, mais perd la vue quelque temps plus tard, ce qui plonge davantage l’enfant dans les livres et la lecture. Il s’inspire fortement de Taha Hussein et de Naguib Mahfouz, entre autres.
Parallèlement à sa scolarité au lycée Hassan II, Mohamed Lotfi continue de «dévorer les livres», aux côtés d’un père qui lui dicte des poésies spontanément. La lecture n’est pas l’unique évasion de celui qui est devenu un féru d’écriture, puisqu’il devient ensuite danseur de ballet, peintre, cinéaste et comédien.
Un artiste pluridisciplinaire
A l’âge de 19 ans, Mohamed Lotfi présente une émission consacrée à la danse et à la chorégraphie sur la télévision nationale. Il joue également son premier rôle au cinéma dans le film Amina, quinzième long-métrage marocain réalisé par Mohamed Baya Tazi. Dans l’art dramatique, il intègre par ailleurs au sein de la troupe FRAT (Foyer de recherche artistique théâtrale), encadré par Hamid Kirane. «C’est quelqu’un qui m’a véritablement introduit à la culture occidentale et j’ai eu la chance de le côtoyer», se souvient-il. Il évolue également grâce aux pièces de théâtre écrites et mises en scène par Saïd El Ouardi, qu’il considère comme «un grand frère».
Mohamed Lotfi en tournage dans les années 1970 / Ph. Mohamed Lotfi (archives)
Arrivé au baccalauréat, l’artiste se rend compte cependant d’une lacune : l’expression écrite française. «Ce qui m’a vraiment aidé pour décrocher mon baccalauréat, ce sont toutes ces années de lecture, de théâtre et de cinéma», nous confie-t-il. Pour s’exercer et améliorer son écrit, il se lance dans le journalisme au sein du quotidien L’Opinion avec son ami Khalil Raiss qui l’a grandement aidé à améliorer son français.
Après quoi, Mohamed Lotfi suit des études en philosophie (option sociologie) à l’Université Mohammed V de Rabat. A la fin de sa première année, il part en tournée en Europe pour des stages de théâtre et de danse, dans le cadre de ses activités artistiques. Il écoute toutes les émissions du journaliste et écrivain français Jacques Chancel, lit toute l’œuvre de Marcel Pagnol et cultive une curiosité particulière pour le jazz et le septième art.
Dans un séjour de plusieurs mois en Allemagne, il réalise que c’est dans l’art qu’il veut évoluer et ne se voit plus terminer sa licence au Maroc. Il tente de s’inscrire dans plusieurs universités à l’étranger, dont celle de Laval (Québec) où il est retenu pour des études en cinéma et arts plastiques.
Une nouvelle vie à Montréal
En 1985, Mohamed Lotfi se découvre une nouvelle passion pour la radio. Il intègre la radio associative et communautaire, où il anime et réalise des émissions de plus de six heures, notamment «Musicalement arabe» ou «A toi arabe», où il fait découvrir à ses auditeurs l’art et la culture arabe. Il anime plus tard des émissions spéciales politiques, notamment sur la condition des femmes dans les Etats arabes. Son bagage artistique lui permet de tenir en haleine un large public, puisqu’il réussit à donner à ses émissions une touche artistique, héritage de ses différentes expériences pluridisciplinaires.
Depuis 1989, Mohamed Lotfi est connu au Québec à travers le programme «Souverains anonymes» qu’il a conçu dans le milieu carcéral. Il produit et anime l’émission avec un groupe de détenus de la prison de Bordeaux (Montréal), lui vallant plusieurs prix et hommages dont la Médaille de l’Assemblée nationale québécoise.
L’idée est que les détenus accueillent un invité. Des textes sont travaillés et chantés dans ce cadre, écrits et composés spécialement pour l’occasion. Mohamed Lotfi explique à Yabiladi que «c’est un programme de réinsertion sociale des personnes incarcérées unique au monde que les Services correctionnels du Québec ont eu l’audace d’accepter et d’encourager depuis 1989». En 2008, il duplique l’expérience a été à deux reprises dans la section femmes de la prison d’Oukacha (Casablanca), avec comme invitée d’honneur l’auteure et compositrice Saida Fikri.
Mohamed Lotfi au 25e anniversaire de Souverains anonymes / Ph. Mohamed Lotfi
Au Canada, l’émission a connu un tel succès qu’elle a été diffusée par plusieurs radios québécoises, ainsi que sur le site de Souverains anonymes. Pour les détenus, elle leur permet une ouverture et constitue un moyen de sublimation artistique, comme nous l’explique Mohamed Lotfi. Elle compte aujourd’hui la participation de plus de 20 000 prisonniers passés par Bordeaux et plus de 800 invités.
Le concept a évolué ensuite en web-télévision et en projet d’écriture de textes avec les détenus. Dans ce sens, Mohamed Lotfi nous confie la sortie prochaine d’un livre à l’occasion des 30 ans de l’émission, ainsi que la centralisation et la publication sur Internet de toutes les archives. Il revendique désormais son statut d’«éducateur plus que celui de journaliste».