«L’histoire est chargée d’aspects liés à la dette publique et il faut dire que la colonisation est entrée au Maroc dans les colis et les bagages de l’endettement». Cette phrase est de l’économiste et enseignant-chercheur Najib Akesbi, commentant le mémorandum publié par ATTAC Maroc sur ces prêts. En effet, l’association a publié un document de cinq pages, retraçant l’évolution de cette dette sur près de dix ans et montrant sa recrudescence inquiétante.
Parvenu à Yabiladi, le mémorandum indique que cette dette était de 400 milliards de dirhams en 2008, bondissant à 898 milliards (DH) en 2017. «Dans les années 1980, les programmes et les politiques tristement célèbres de réajustement structurel étaient la conséquence de l’endettement», nous explique encore Najib Akesbi, faisant remarquer «une accumulation, une charge à la fois politique, sociale et financière qui est très lourde».
Une dette qui pèse depuis plus de dix ans
Ce document est publié quelques semaines après la parution du rapport annuel et la Cour des comptes. Dans ce sens, il souligne que la dette publique (externe et interne) représente désormais 84% du PIB. Dans ce sens, Najib Akesbi considère que la sortie dudit rapport «a été entourée de désinformation». Il souligne à ce propos que «le gouvernement n'évoque que la dette du Trésor, il reconnaît qu’on est à 65 ou à 66% du PIB. Dans les engagements pris en 2013 dans le cadre de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) avec le FMI, l’exécutif avait pourtant promis de descendre à 60%.»
Pour le chercheur, «la réalité est que ce n’est ni responsable ni sérieux de ne pas tenir compte de la dette garantie, celle des établissements publics, les collectivités locales, qui, en cas de défaillance, est payé par l’Etat». D’où l’intérêt de «se pencher sérieusement sur la question de cette dette plus que celle du trésor». Il nous rappelle qu’à 84% du PIB, «ce niveau est devenu extrêmement préoccupant» de part «les ponctions sur les budgets et l’engrenage que cela implique».
«Depuis 4 ou 5 ans, on empreinte environ 70 milliards de dirhams par an, non pas pour les investir, mais pour rembourser les emprunts de l'Etat. En d’autres termes, une dette en nourrit une autre.»
L’impératif d’auditer la dette publique
La question de l’audit s’est posée d'abord en Amérique latine avec la fin des dictatures, lorsque la société civile en fait un sujet central du débat publique, notamment via des organisations internationales comme le CADTM, ATTAC parmi d’autres, rappelle encore Najib Akesbi. «Ces dernières ont constaté que les peuples payaient cher la dette, alors que personne ne sait ce que les gouvernants ayant emprunté cet argent en ont fait : si au moins cet endettement avait servi à améliorer les conditions de vie, mais ces régimes ont pris fin et les citoyens se sont retrouvés à payer pour eux», souligne encore l'économiste. Il fustige ce qu'il appelle la «dette odieuse», appellation reprise dans le mémorandum d’ATTAC Maroc.
Concernant le royaume, le spécialiste préconise de procéder à un audit de la dette pour distinguer la part qui peut être considérée comme étant ‘légitime’ ou du moins acceptable, d’une partie qualifiée d’odieuse. L'économiste vise en particuliers celle «contractée par des gouvernements n’ayant aucune légitimité démocratique et qui est utilisée dans des projets dont ne bénéficie pas la large population».
«Cela devrait être une des priorités de l’action de la Cour des comptes. Sa mission est de contrôler et d’évaluer les deniers publics. Le premier créancier du Maroc est la Banque mondiale. Depuis 50 ans, elle endette le pays avec les résultats que l’on connaît, sans que personne n’ose remettre en question l’audit de sa dette. J’ai interpellé la Cour des comptes en la personne de Driss Jettou à ce propos.»
Dans ce même registre, l’économiste ainsi que ATTAC insistent sur l’existence d’établissements publics qui ne sont pas audités, «à cause de ‘lignes rouges’ et de tabous, par rapport à ces structures et par rapport aux principaux créanciers du Maroc».