Tout au long de son histoire millénaire, le Maroc a fait face à plusieurs catastrophes naturelles qui ont menacé sa stabilité et la survie de sa population. Si la majorité des Marocains se rappellent du rationnement drastique des produits alimentaires entre 1940 et 1947, appelé «Aâm El Boun» (l’année du bon), le royaume a connu bien d’autres misères par le passé. Famine, peste et «épidémies inconnues» étaient au menu dès 1521.
Dans un article intitulé «Population et crise au Maroc aux XVIe et XVIIe siècles. Famines et épidémies» (Cahiers de la Méditerranée, 1977), l’historien français Bernard Rosenberger est revenu sur certaines catastrophes naturelles et épidémies ayant frappé le Maroc dès le 15ème siècle. Ainsi, «en 1493, une épidémie [est] apportée par les Juifs expulsés de Grenade». Ayant sévi à Fès, cette maladie contagieuse aurait «peut-être été étendue ailleurs». D’autres épidémies non identifiées par les historiens auraient touché le royaume.
«En 1502 ou 1503, en tout cas avant 1505, une nouvelle épidémie fait des victimes en nombre suffisant pour affaiblir le souverain Wattasside. En 1511-1512 dans le Sous, une épidémie est signalée. Mais elles ne sont pas comparables à la crise de 1521-1523 qui est restée longtemps dans les mémoires.»
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Les visites successives de la peste
L’historien français raconte comment cette famine exceptionnelle avait eu des «conséquences extrêmement sévères» sur les Marocains. «La misère fut atroce dans les plaines atlantiques où les parents vendaient leurs enfants pour l’équivalent de quelques mesures de grain. Le prix de l’homme atteint un taux dérisoire», rapporte-t-il.
Dans des conditions pareilles, la famine ne venait généralement pas seule. Elle aurait été accompagnée par «la maladie, vraisemblablement la peste» et ce, dès 1521. Pour illustrer, Bernard Rosenberger raconte aussi comment la famine, combinée à la peste, causèrent la mort de «milliers et milliers de personnes». «La cavalerie du souverain Wattaside se trouvait diminuée de 90% sans qu’il soit bien clair si c’était à cause du décès des hommes ou du manque de montures», ajoute-t-il.
Trente-six ans plus tard, la peste revient pour freiner la reconstitution de la population marocaine. A partir d’août 1557, elle sévissait déjà dans les montagnes du Rif et le long de la côte méditerranéenne après avoir fait son apparition en Algérie voisine dès 1553. «En janvier 1558, elle est à Fès-le-Vieux, en février au Mellah où elle fait périr de nombreux juifs. Dans la ville de Fès, il y aurait eu à certains moment, 1 000 à 1 500 morts par jour et même 3 000 selon certaines sources», poursuit l’historien.
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Ce n’est qu’à l’été 1559 que la maladie cesse de faire des morts après avoir couté la vie à près de 300 000 victimes. En 1580, le couple famine-maladie est de retour. Appelée «année de la toux», une «grippe» s’était associée à la famine pour frapper au lendemain de la Guerre des Trois rois et aurait duré moins d’un an.
Mais de 1597 à 1608, plusieurs catastrophes «effroyables» fondent sur le Maroc. «Peste, famine, guerre civile se succèdent ou se combinent», plongeant le pays dans le chaos. Un document espagnol, datant de mai 1597 et cité par l’historien français fait état de 450 000 morts. La sécheresse et la famine se succèdent alors, entre 1603 et 1606 puis en 1607-1608.
Choléra, pestes et… criquets pèlerins au 17ème siècle
Le 17ème siècle est lui aussi marqué par une situation apocalyptique. «De 1661 à 1663, une famine particulièrement meurtrière allait frapper le Maroc», raconte-t-on dans Hesperis Tamuda.
«L'hiver 1660-1661 fut rigoureux : froid d'abord et sec ensuite. En décembre 1660 on vit la neige à Fez, phénomène assez rare pour être noté, mais par la suite il ne tomba pas d'eau pendant plus de deux mois, et à la fin de février, les gens faisaient des prières pour la pluie à la Qarawiyin.»
La sécheresse compromit les récoltes, alors que le moment des moissons fut «marqué par des violences qui attestent les difficultés éprouvées dans les campagnes». Un épisode qui se répète plusieurs fois, notamment en 1722. Une année qui sera marquée par une «grande famine», comme le rapporte Haïm Zafrani dans son livre «Deux mille ans de vie juive au Maroc : Histoire et culture, religion et magie» (Editions Eddif, 1998). Emigration, guerres civiles et pillages étaient au menu. «Après le pillage de Fès par les Oudaya en 1727, et particulièrement celui de Meknès par les Abids en 1728, le tribunal rabbinique fut appelé à juger les litiges nés de la perte des biens appartenant aux associés dans des affaires en commandite commerciale», raconte Haïm Zafrani.
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De 1766 à 1774, le Maroc exportait du blé vers l’Europe suite à de meilleurs rendements. Mais dès 1779, des années de sécheresse se succèdent jusqu’en 1782, comme le rapporte le chercheur marocain Ahmed Asrifi. Il s’agit aussi d’une «invasion de criquets pèlerins» qui poussera les Marocains «à manger des herbes et à consommer de la viande porcine». Le retour des pèlerins marocains en 1798 favorisera à nouveau la propagation d’une nouvelle souche de la peste. Près de 20 ans plus tard, «la peste tangéroise» fera son apparition d’abord dans la ville du Détroit.
Aam El Boun ou la grande famine du 20ème siècle
En 1834, la peste laissera place au Choléra. «La maladie avait fait son apparition en Algérie avant d’atteindre le Maroc. Cette catastrophe s’est succédée pour frapper à plusieurs reprises, soit en 1854, 1858, 1868 et 1878».
Mais l’une des catastrophes naturelles des plus sévères dont les Marocains se rappellent jusqu’à aujourd’hui est sans doute le rationnement drastique des produits alimentaires entre 1940 et 1947. «Après la défaite de la France en 1940 lors de la Seconde Guerre mondiale, l’Hexagone puisait dans les ressources de ses colonies, dont le Maroc», raconte Ahmed Asrifi. Une mesure qui avait impacté la production nationale et l’économie du royaume.
Afin de faire face à cette situation, le gouvernement de Vichy entreprend le rationnement, «fait sur une base ethnique avantageant les Français au détriment des Juifs puis des Musulmans», raconte David Bensoussan dans «Il était une fois le Maroc» (Editions iUniverse, 2012). Mais les conditions météorologiques auraient également contribué à accentuer cette crise.
Un souk au Maroc.
«Le manque d’hygiène et de nourriture sévit d’abord dans les campagnes où apparaissent rapidement les trois grands fléaux que sont la peste, le typhus et la fièvre», raconte Zamane. Les Marocains étaient tellement désespérés qu’ils «émigraient» vers des «régions davantage épargnées telles que les zones de débarquement américain où les soldats offrent des provisions à la population».
Si les chiffres français font état de 200 000 morts à cause de cette crise, l’historien Daniel Rivet estime que la seule année 1945 déplore plus de 300 000 morts.