«Nous voulons ouvrir les esprits, montrer ces jeunes de façon plus respectueuse.» Avec son association «Escola Cinema al Marge», fondée il y a un an, Adrià Jurado, spécialisé dans la réalisation de documentaires à l’Ecole supérieure de cinéma et d’audiovisuel de Catalogne (ESCAC), veut montrer autrement ceux que l’administration a baptisé «MENA» : mineurs étrangers non accompagnés, rapporte El País. Depuis le début de l’année, l’Espagne en a accueilli 800 – le double par rapport à la même période en 2017.
Dans une rue du Raval, quartier du centre de Barcelone, Omar B., 13 ans, Catalan d’origine marocaine, interroge Mohamed Yowrik, 18 ans, sur le périple qui l’a conduit du Maroc à l’Espagne. Le jeune homme se confie sur ses deux jours à bord d’une embarcation de fortune et les bagarres qui ont éclaté à bord, ses séjours dans les centres d’accueil pour mineurs, quelques cours de catalan par-ci par-là et un mois entier à errer dans la rue.
L’équipe de tournage a réalisé une quinzaine d’interviews. Les protagonistes, tous marocains, sont arrivés seuls en Catalogne, à bord d’embarcations maritimes ou accrochés aux roues d’un camion. Les intervieweurs – des enfants d’immigrés pour la plupart – ont entre 13 et 23 ans. Leila Hernández, 23 ans, se dit surprise de l’aisance avec laquelle ces jeunes racontent leur histoire. Devant la caméra, Mohamed explique ainsi qu’une fois atteint la majorité, il a dû quitter le centre qui l’hébergeait. Pendant 30 jours, il a dormi dans la rue. «Tout le monde les met dans le même sac», déplore Leila Hernández.
«Harrag»
Plusieurs médias les ont en effet qualifiés d’«enfants de la colle», en référence aux produits stupéfiants que certains consomment. Un qualificatif qui n’est pas sans rappeler les adolescents marocains qui errent dans le XVIIIe arrondissement de Paris, à la Goutte-d’Or. Récemment, l’association Trajectoires, spécialisée dans la prise en compte des populations migrantes habitant en bidonvilles et squats en France, s’est inquiétée de la poly-dépendance de certains mineurs.
Adrià Sunyol, documentaliste et co-fondateur du projet avec Adrià Jurado, se souvient de la première fois qu’il a entendu le mot «harrag». L’un de ses élèves avait utilisé ce terme arabe en parlant d’un jeune garçon qu’il avait salué dans la rue. «J’ai été frappé par la manière dont ils sont étiquetés. Soudain, nous avons pris conscience d’une réalité que nous ne connaissions pas», dit-il. Les mineurs qui se lancent dans la course de l’eldorado européen utilisent ce mot – qui signifie «immigré clandestin» en arabe – pour s’appeler entre eux. Ils l’utilisent aussi de manière péjorative pour parler des Catalans nés de parents marocains.
A Barcelone aussi les migrants mineurs marocains ont leur repère, dans une zone appelée «El Forat de la Vergonya» («le trou de la honte» en catalan). Et ici aussi, la cohabitation avec les habitants et les commerçants fait souvent des remous.