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Grand Angle

Depuis début 2018, la Méditerranée occidentale a fait autant de morts qu’en 2017

Alors que l’Espagne fait face actuellement à une pression migratoire sans précédent depuis plus de dix ans, les migrants continuent d’arriver en traversant la Méditerranée occidentale, une route particulièrement meurtrière.

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«Le Radeau de Lampedusa» (2016), de Jason de Caires Taylor, œuvre immergée au large de Lanzarote, dans l’archipel des Canaries. / Ph. Jason de Caires Taylor (DACS - ARTIMAGE 2018)
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Dimanche 29 avril, les corps sans vie de 15 migrants qui tentaient de rejoindre l’Espagne ont été retrouvés sur une embarcation à la dérive, près des eaux algériennes. «Le mois s’est terminé comme il a commencé», fait justement remarquer le quotidien espagnol El País : il s’est achevé sur l’espoir avorté de caresser le rêve européen.

Le 1er avril dernier, 11 Africains avaient en effet perdu la vie dans les eaux du détroit de Gibraltar. Théâtre de naufrages, de morts et de disparus, la Méditerranée Occidentale, bordée par l’Espagne, la France, l’Italie, la Sicile, Malte et l’Adriatique, auxquels sont associés les côtes nord marocaines, algériennes et tunisiennes, a décroché en 2018, du moins sur les cinq premiers mois, un palmarès glaçant : celui de la route migratoire proportionnellement la plus mortelle au monde. Plus que celle qui relie la Libye et l’Italie, ou que la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis.

Depuis le 1er janvier 2018, un migrant sur 29 est mort ou a disparu en tentant d’atteindre l’Espagne, contre un sur 36 en direction de l’Italie, d’après les données compilées jusqu’au 2 mai par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans le cadre de son projet «Missing Migrants», qui comptabilise le nombre de décès de migrants durant le trajet vers l’Europe.

Retournement de situation

Des chiffres particulièrement inquiétants qui font de cette route migratoire la plus dangereuse au monde. L’OIM «s’inquiète de l’augmentation du nombre de morts» parmi les migrants qui quittent l’Afrique pour l’Espagne, car «en l’espace de quatre mois, le nombre de personnes décédées est presque égal à celui de toute l’année 2017», s’alarme Joel Millman, porte-parole de l’OIM.

Entre le mois de janvier et le 2 mai 2018, 217 individus sont décédés sur cette route migratoire (4 400 sont parvenus à atteindre les côtes), contre 224 sur l’ensemble de l’année précédente, d’après les données de «Missing Migrants». Le nombre d’arrivées était en revanche environ cinq fois supérieur (22 108).

Alors que la route migratoire de la Méditerranée occidentale semblait peu à peu délaissée face à l’explosion de la fréquentation des routes italienne, turque et européenne suite aux révolutions arabes et à la guerre en Syrie, c’est désormais un retournement de situation qui se profile depuis de longs mois : en juillet 2017, le nombre de passages frontaliers irréguliers détectés par Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, dans la Méditerranée occidentale, était trois fois supérieur à ce qu’il était en juillet 2016. Il avait atteint en seulement 7 mois près de 11 000 entrées irrégulières, soit plus que le nombre d’arrivées pendant toute l’année 2016, selon l’agence Frontex.

Effectifs réduits

Il faut dire que le royaume ibérique fait face à une pression migratoire qu’il n’a pas connue depuis 2006. A l’époque, la Casamance, au sud du Sénégal, était le point de départ de nombreux Sénégalais vers les îles Canaries, en quête de l’eldorado européen. Désormais, les côtes d’Al Hoceïma semblent marcher dans le sillage de cette région.

Début janvier, la Commission espagnole d’aide aux réfugiés (CEAR) avait avancé la fermeture de certaines routes migratoires, l’assouplissement de la vigilance des autorités marocaines et le contexte social dont pâtit le Rif. Sur ces deux derniers points, Estrella Galán, secrétaire générale de la CEAR, l’expliquait : «Il y a moins d’effectifs déployés au niveau de la frontière, ce qui facilite les flux migratoires.»

Dans un entretien accordé au site Atlantico en août 2017, Pierre Vermeren, historien et spécialiste du Maghreb, abondait dans le même sens : «La situation, dans le nord du Maroc, est très tendue avec le Rif. La police a autre chose à faire que de s’occuper des migrations. Les passeurs reprennent donc de l’activité car ils sont moins contrôlés.»

Joel Millman y voit un autre motif : «Nous supposons que la route qui longe la côte pour remonter vers le Maroc est considérée comme plus sûre», disait-il en août 2017 à l’agence France-Presse. En Libye, les passeurs embarquent 100 à 150 migrants par embarcation : «Ils semblent délibérément surcharger les bateaux, qui prennent l’eau tout de suite, et les passagers doivent s’efforcer d’obtenir de l’aide au plus vite.»

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