Loin des préjugés qui peuvent accompagner l’appellation de réfugié, Youssouf* se démarque. Le regard décidé, la voix claire, le jeune homme de 18 ans a vécu le pire sans pourtant perdre espoir. Dès les premières minutes de la conversation, sa résilience surprend et son témoignage bouleverse. Une rage anime son quotidien, celle de s’en sortir, malgré toutes les épreuves. Youssouf* ne perd pas de vue l’essentiel, il veut continuer ses études pour se reconstruire et surtout être réinstallé dans un autre pays que le Maroc où il peine à s’en sortir.
«Je suis ici à cause du terrorisme dans mon pays», souffle d’une traite le réfugié avec un regard qui veut en dire long. «Je viens de Gao, je vivais avec ma mère qui était institutrice de français et anglais. Elle refusait de se plier aux traditions et se remarier avec un membre de la famille de mon père après sa mort. Du coup, elle a été reniée des deux côtés de la famille», confie le jeune homme.
En septembre 2016, un événement chamboule toute la vie de Youssouf*. Des terroristes débarquent dans la maison du jeune homme. «Ma mère enseignait des langues étrangères. On disait qu’enseigner ces langues est pour les blancs, contraire à l’islam», se remémore-t-il. Le jeune homme de 18 ans insiste impuissant au viol de sa mère et à son kidnapping par les terroristes du groupe dit «Ansar Din». Un des terroristes, le plus jeune, conseille à Youssouf* de fuir parce que la prochaine fois il reviendrait et ce serait pour lui. Depuis ce jour-là, plus de nouvelles de sa maman.
«C’est toujours la même chose, pas plus tard que la semaine passée, il y a eu trois attentats dans la région de Gao. 126 civils ont été tués. (…) C’est la guerre, tout le monde se cherche. Je suis seul, je n’ai pas de famille. Je ne peux compter que sur Dieu et sur moi-même.»
Un contexte politique tendu
La route qui relie Gao à Ménaka (près de la frontière avec le Niger) est secouée depuis un certain nombre d’années par des attaques terroristes et des braquages hebdomadaires. Cette voie est essentielle pour l’économie de cette partie du Mali, des transporteurs routiers l’empruntent quotidiennement ainsi que les casques bleus de la Minusma. La région de Gao est une zone où plusieurs groupes terroristes ont élu domicile, semant la terreur et l’insécurité, telle que l’organisation dite «Etat islamique au Grand Sahara» et la coalition terroriste de Iyad Ag Ghaly.
L’attaque terroriste la plus récente est celle du 18 janvier dernier, où un attentat suicide a visé un camp militaire de Gao. «Un véhicule a pénétré dans le camp écrasant ceux qui se trouvaient sur son chemin, avant d’exploser», écrit le quotidien Le Monde. L’attentat a fait 77 morts et une centaine de blessés et a été revendiqué par «Al Qaida du Maghreb islamique». Le groupe terroriste a affirmé dans un communiqué que «cette opération visait à punir les organisations qui collaborent avec les troupes françaises présentes dans le pays».
Youssouf attend deux jours avant de fuir. Il décide de se rendre en Algérie, c’est le passeur qui le convint de partir au Maroc qui lui dit que «les noirs sont mieux intégrés ici», déclare le réfugié. Il débarque au Maroc le 5 octobre 2016 et obtient le statut de réfugié délivré par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) près d’un mois plus tard. Quelques jours plus tard, il s’installe à Rabat.
Etudes interrompues
Il arrive au Maroc mu par l’espoir que sa vie allait changer, mais les choses ont pris une tournure différente. Youssouf* veut continuer ses études, obtenir son baccalauréat. Polyglotte, il est passionné de littérature. Mais au Maroc, pour passer le bac, il faut le passer en arabe, une langue qu’il ne maitrise pas. Il fait alors une formation en mécanique auprès de la Fondation Orient Occident. «Mais c’est pas mon rêve», s’exclame le réfugié. Et d’ajouter que son ambition ultime est de pouvoir faire des études en commerce ou de droit.
Avec son certificat de mécanicien, il n’arrive toujours pas à trouver du travail. En plus de ça, Youssouf* a été diagnostiqué avec une maladie des yeux qui doit être opérée et qui le fait souffrir au quotidien. «Mais est-ce que le HCR pourra prendre l’opération en charge ?», ajoute-t-il avec une profonde tristesse dans son regard. Le natif de Goa continue de tenter des recours au niveau du HCR pour être réinstallé dans un autre pays que le Maroc.
«J’ai confiance en moi et en mon avenir. C’est la seule chose qui m’aide à avancer dans la vie. Je ne peux pas oublier ce qui s’est passé au Mali, mais à voir la vie d’une autre couleur.»
Agressions et racisme
Avec 800 dirhams par mois que donne le HCR, Youssouf doit payer le loyer, les factures et se nourrir. Il habite à Youssoufia, un quartier populaire à Rabat où l’insécurité règne. Il s’est fait agresser à deux reprises. Une fois, en sortant acheter du pain, cinq agresseurs l’attaquent et vu qu’il n’avait rien sur lui repartent avec ses sandales. «Je ne suis jamais allé porter plainte à la police, parce que la première fois où ça s’est passé la police n’était pas loin. Après l’agression ils sont venus en moto et ils me demandent ce que j’ai perdu. Je leur ai dit : ‘’Vous n’étiez pas loin, vous pouviez agir sur le champ, pourquoi vous ne l’avez pas fait ? J’ai rien à vous dire, vous êtes quelque part complices de ça’’», s’indigne le jeune homme.
«J’ai compris que c’est parce que je suis noir c’est pour ça que personne n’est intervenu.»
Souvent, Youssouf* vit le racisme de certains Marocains. Des femmes qui se bouchent le nez quand il monte dans le taxi. «Chez moi au Mali vous ne verrez jamais ça. Jamais vous allez rentrer dans un lieu public avec un noir et il va faire ça. Parce qu’on connait la valeur de l’homme nous», s’écrie le réfugié. «Où est donc la différence ? La peau ?»
«Je ne m’imagine pas du tout rester ici, pas du tout. Au début, par naïveté oui. Mais avec le temps j’ai compris, à quel moment ça va changer, dans dix ans ? dans 20 ans ? A ce moment j’aurai pris de l’âge. J’ai aussi des rêves et des aspirations. Je ne peux pas vous mentir. Je vois aussi les jeunes marocains qui font leur vie, qui s’amusent, qui se marient, qui se rangent. Je rêve aussi de ça. Nous aussi on rêve de ça. Ce n’est pas parce qu’on est réfugiés qu’on doit toujours rester au dernier rang de la classe, pas du tout. Je souhaite être réinstallé du moment où c’est un pays sûr où je peux reprendre mes études, où je peux être soigné.»
*Le prénom du jeune a été changé pour préserver son anonymat.