Encore une première dans l’histoire de la presse marocaine. Deux journalistes marocains exerçant pour une chaine émiratie, Dubaï TV, ont été licenciés «sur décision marocaine». Décidément la censure a le bras long.
D’une pierre deux Makhfi
Tout a commencé le 19 juin, quand, contacté par téléphone pour rapporter les réactions soulevées par l’annonce du nouveau texte de constitution, Jalal Makhfi répondait aux questions posées par le présentateur du journal télévisé de Dubai TV. Jalal Makhfi expliquait les actions de l’opposition (les Jeunes du 20 Février, ainsi que quelques partis politiques). La réaction de Khalid Naciri qui prenait la parole tout de suite après a été vive, et sa condamnation des propos de Jalal Makhfi immédiate. Pour le ministre de la Communication, la «sympathie» du journaliste pour le Mouvement du 20 février altère sa neutralité. (Voir Video en dessous)
Ensuite, le couperet tombe très vite. Jalal Makhfi est licencié. Son frère Omar, rédacteur en chef du journal télévisé depuis huit ans, en a fait les frais également le 21 juin, dans les mêmes conditions. Tous leurs droits figurant dans le contrat qui les lie à la chaine ont été respectés, hormis le préavis : leur départ devait être immédiat.
Dans une lettre ouverte adressée à la presse, Omar Makhfi affirme n’avoir reçu aucune justification officielle écrite de son licenciement. Il a juste été informé oralement qu’il n’a pas été congédié pour «des raisons professionnelles, administratives ou personnelles. Mais la décision remonte à des sources politiques émanant du Maroc».
«Un journaliste […] a le droit d’avoir des positions politiques»
Khalid Tritki, président du Cercle des Journalistes Indépendants, «anéanti» par cette affaire, «n’arrive pas comprendre». Pour Tritki, «dans le cadre de la ligne éditoriale, le journaliste a le droit de traiter le Mouvement du 20 Février plutôt que la Zaouïa Boutchichya», du moment qu’il respecte «certaines règles techniques de déontologie et de neutralité». «Un journaliste est d’abord un citoyen et il a le droit d’avoir des positions politiques», ajoute-t-il. Les positions de Jalal Makhfi lui ont valu à lui et à son frère un licenciement immédiat, d’autres pourraient-ils subir le même sort ? Pour Tritki, «c’est une pratique possible dans le cadre de relations bilatérales notamment avec les monarchies du Golfe». «Ils (les autorités) ont déjà eu des déboires avec Al Jazeera, et ils ont eu du mal à accepter le refus» de coopérer de la chaine. Khalid Tritki rappelle également une émission de la CNN entièrement dédiée au Mouvement du 20 février «et vu la nature et la force de la chaine, aucun politique marocain n’a osé intervenir».
Le Cercle des Journalistes Indépendants ne prend pas cette affaire à la légère. Le CJI «formulera son indignation et son refus du comportement féodal du ministre de la communication» par voie de communiqué. Un autre communiqué sera diffusé auprès des chaines satellitaires arabophones et francophones principalement «pour montrer que nous dénonçons cette pratique qui va à l’encontre de l’esprit de la nouvelle constitution». Pour Khalid Tritki, cela ne fait aucun doute. «En agissant ainsi, ils portent atteinte au Maroc d’abord puis à la rédaction ou travaillaient les Makhfi».
Extrait du journal télévisé de Dubai TV du 19juin dernier, avec les interventions en direct de Jalal Makhfi et Khalid Naciri, ministre de la communication.