Au printemps 1942, trois ans après le début de la Seconde Guerre mondiale, les forces de l'Axe Allemagne-Italie-Japon sont vainqueurs sur tous les fronts. Les Alliés essuient plusieurs défaites avant de décider de réagir autrement. Le plan ? Encercler l'adversaire en occupant le littoral sud méditerranéen et donc y installer des bases militaires avant de libérer l’Europe.
C’est depuis cette date que le rôle des territoires occupés par la France coloniale s’avère primordial. Le 8 novembre 1942, les Alliés débarqueront au Maroc dans le cadre de l’opération baptisée «Opération Torch». Prévue initialement le 30 octobre, au Maroc et en Algérie, elle n’aura lieu finalement que 9 jours plu tard et ne se passera pas sans incident : une résistance menée notamment par les forces françaises présentes au Maroc.
Des Etats-Unis à Dakar avant le Maroc pour éviter les Allemands
Bien avant le printemps 1942, les Alliés et à leur tête les Etats-Unis pouvaient déjà compter sur le soutien du royaume chérifien même sous le protectorat. En effet, c’est le 3 septembre 1939 que feu le roi Mohammed V, alors sultan Mohammed Ben Youssef, annoncera la participation du Maroc, aux côtés des Alliés, à la Seconde guerre mondiale. Une série d’événements s’en suivent, à commencer par la trêve entre les Alliés et les forces de l'Axe, annoncée du 25 juin au 8 novembre 1942.
«Sous le commandement du général Eisenhower (Dwight, ndlr), les forces anglo-américaines se composent de quelque 200 bâtiments de guerre, 110 navires de transport, 107 000 hommes et d'une importante couverture aérienne», indique un document de la Direction française de la mémoire, du patrimoine et des archives, intitulé «Opération Torch : Les débarquements alliés en Afrique du Nord 8 novembre 1942» (Collection «Mémoire et Citoyenneté»). Pour organiser l’opération, la «Center Task Force» et la «Eastern Task Force», parties d'Angleterre, doivent se positionner à Oran et Alger, alors que la «Western Task Force», venant des États-Unis, doit débarquer au Maroc. «À l'aube du 8 novembre, la flotte alliée se présente devant les côtes algériennes et marocaines», indique le document.
Des soldats américains débarquant au port de Fédala (actuelle Mohammedia) en novembre 1942. / DR
Au Maroc, les Alliés doivent débarquer dans quatre points stratégiques : Casablanca, Safi, Fédala (l’actuelle Mohammedia) et Mehdia. «Les convois d'attaque destinés aux secteurs de Safi, Fédala et Mehdia partirent de Norfolk. Les forces de couvertures appareillèrent de Casco Bay. Ils rejoignirent cinq porte-avions partis des Bermudes, pour former la plus fantastique force navale jamais lancée dans les océans», racontent pour leur part Lahlou Outtassi et Haj Abdelmalek dans un article de Maroc Hebdo International. L’armada des Alliés comptent plus de 102 bâtiments. Elle est «d'une longueur linéaire de 50 km sur 40 de large pour franchir plus de 8 000 km sur un océan infesté de sous-marins allemands, les fameux U-Boote», poursuit-on de même source.
«Pour feinter ces derniers, le parcours emprunté avait fait croire que le convoi se dirigeait vers Dakar. Le cap allait être remis sur le Maroc par la suite. Lorsque les contre-ordres parvinrent aux sous-marins de l'Axe, il était déjà trop tard. Les GI's prenaient pied sur le littoral marocain. Ils n'y trouvèrent pas d'Allemands, mais une armée locale résolue à défendre l'empire français contre toute agression.»
La grande bataille navale de Casablanca
Une résistance surtout à Casablanca où l’affrontement entre Américains et forces coloniales durera trois jours. A l’origine de ce refus des Français présents au Maroc d’accueillir les bras ouverts les forces alliées, les raisons évoquées divergent. On parle plutôt de deux putschs militaires en Algérie et au Maroc qui se seraient mal tournés. «À Alger (…) une opération audacieuse menée par de jeunes patriotes a permis la neutralisation, dans la nuit du 8 novembre 1942, de l’essentiel du dispositif militaire vichyste, le mettant ainsi hors d’état de résister en temps utile aux troupes alliées», rapporte l’historien Pierre Saly, dans un article intitulé «L’opération Torch, un tournant de la Seconde Guerre mondiale». Le débarquement se déroulera donc sans effusion de sang. A Oran et au Maroc par contre, le débarquement tournera vite au conflit armé, comme l’indiquent Lahlou Outtassi et Haj Abdelmalek.
«Les forces américaines, 9 000 hommes et 65 chars, débarquèrent à Mehdia pour s'emparer de la base aérienne du Port Lyautey (Kénitra). Afin d'occuper Casablanca par le nord et par le sud, ils débarquèrent 19 000 hommes et 65 chars à Fédala et 6 500 hommes et 108 chars à Safi. 172 avions embarqués sur les porte-avions de l'escadre fournissaient l'appui aérien.»
Mais à Casablanca, une grande bataille, essentiellement navale, fera rage durant trois jours. Charles Noguès, alors résident général de la France au Maroc et l’amiral Frix Michelier refuseront de se rendre. A Casablanca donc et dès 6 heures du matin du 8 novembre, des avions militaires français commencent l’attaque contre les forces américaines au port de Casablanca et celui de Fédala. Les américains posteront d’abord les croiseurs Massachusetts, Tuscaloosa et Wichita devant le port, la France coloniale déploie les grands moyens, à travers notamment le cuirassé Jean Bart, fierté de la marine française. Ce n’est qu’après trois jours de combat et des pertes humaines et matérielles importantes que les généraux français décideront enfin de se rendre. Le cessez-le-feu interviendra le 10 novembre, permettant aux Américains d’enfin débarquer et se préparer pour l’ennemi allemand.
Le cuirassé Jean Bart au port de Casablanca le 10 novembre 1942. / DR
Le bombardement de Casablanca évitée de justesse ?
Dès le 8 novembre, le journal Le Petit Marocain publie des témoignages de Casablancais ayant vécu trois jours de terreur suite à la bataille de Casablanca. «J’ai entendu l’alerte juste avant le crépuscule (…) les gens n’avaient pas peur et continuaient leurs travaux», dit l’un deux. Abdellah Erreddad, un autre casablancais cité dans les «Mémoires du patrimoine marocain» (6e tome, éditions Nord Organisation, 1986) revient pour sa part sur les tracts des forces alliées distribués par avions pour rassurer les Casablancais. «A six heures moins quart, les alarmes sifflaient. Nous avons ensuite entendu les ronronnements des moteurs d’avions avant que nous, moi et tous les membres de ma famille, nous ne dirigeons vers la terrasse», rapporte-t-il.
«Les avions se sont ensuite éloignés, laissant derrière elles de tracts qui descendaient d’un ciel peu nuageux. Écrits en arabe et en français, avec la photo du président américain Franklin Roosevelt et celle du général Eisenhower, indiquant que les Américains sont venus pour l’unique raison de combattre l’ennemi commun : les Allemands.»
Un tract des forces américaines avec la photo de Franklin Roosevelt. / Ph. DR
Dans son témoignage, Abdellah Erreddad, habitant à Sour Jdid à Casablanca, raconte aussi comment les murs de sa maison vibraient au rythme des bombardements conjoints entre Français et Américains. L’ouvrage fait même état, à travers l’un des témoignages, de bombes tombées sur l’une des maisons proches du port de Dar El Beida.
D’ailleurs, après deux jours de combats, les Américains auraient été bel et bien déterminés à bombarder la capitale économique, comme le rapportent Lahlou Outtassi et Haj Abdelmalek.
«Devant le refus de Noguès et de Michelier de se rendre, le général George Patton, encercla la ville et décida d'en finir. Attaquer Casablanca le lendemain à 7 h 30 du matin. Bien qu'il répugnât à réduire en cendres Dar El Beida, il ordonna un bombardement naval et aérien. À minuit, ses plans étaient établis et ses hommes étaient disposés en ordre de bataille. À 4 h 30 du matin, son officier de renseignements lui rapporta que l'armée locale se préparait à se rendre.»
Le cessez-le-feu déclaré, les hostilités laisseront place à des «manifestations de joie des Casablancais». Le général Patton choisira même d’installer son quartier général aux Roches Noires avant de le déplacer dans les locaux de la Shell, et résider à l'hôtel Majestic. La phase du débarquement est enfin bouclée.
Le président des États-Unis, Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique, Winston Churchill, lors d'une rencontre en marge de la Conférence d'Anfa à Casablanca. / DR
Mais le Maroc ne sera pas épargné de l’agression allemande. Dans la nuit du 30 au 31 décembre 1942, un bombardement mené par dix-huit avions allemands frappe la capitale économique. Le raid de Derb Tolba, à proximité de l’Avenue El Fida et de la route de Mediouna, fera 110 morts. En janvier de l’année suivante, le président des États-Unis, Franklin Roosevelt convoquera le Premier ministre britannique, Winston Churchill et les généraux français Henri Giraud et Charles de Gaulle à Casablanca pour une conférence internationale : la célèbre Conférence d’Anfa. C’est durant ce même événement qu’il rencontrera aussi le sultan Mohammed Ben Youssef.