Cinq jours après la 18e fête du Trône, le gouvernement de Saâdeddine El Othmani s’active pour la mise en œuvre du contenu du discours prononcé par le roi Mohammed VI samedi 29 juillet. Jeudi, le conseil du gouvernement a consacré une large partie de ses travaux à l'examen et la discussion des mesures de mise en œuvre du contenu du discours royal. Il annonce même l'adoption de six mesures.
Lancement d’un chantier de réformes global et une modernisation complète de l’action des Centres régionaux d’investissement (CRI), création d’une commission chargée du dossier de la gouvernance et de la réforme de l’Administration, propositions concrètes émanant des secteurs concernés, l’accélération de l'élaboration des mesures de simplification des procédures administratives, l’organisation d’un colloque du gouvernement dédié à l’examen du projet de la Charte de décentralisation et l’accélération de l’adoption du plan exécutif du programme gouvernemental. Autant de mesures destinées à traduire les remarques émanant des plus hautes sphères de l’Etat en actions concrètes.
Mohamed Zineddine : «Le gouvernement fait donc face à deux défis»
Cela serait-il suffisant et quels sont les défis de cette mise en application ? C’est les questions que nous avons posé ce vendredi à Mohamed Zineddine, professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques à l’Université Hassan II de Casablanca. Pour lui, «il y a une rapide réactivité du gouvernement quant au contenu du discours royal». «Cela est très positif et affirme que les remarques faites par le souverain ont une mise en œuvre et une concrétisation», nous déclare-t-il avant de souligner que «les mesures annoncées par le gouvernement sont des actions revendiquées par la société qui appelle, entre autres, à une application de la bonne gouvernance au vrai sens du terme». Mais il reconnait une chose :
«La problématique qui se pose aujourd’hui est la mise en application de ces actions. C’est ça le défi du Maroc d’aujourd’hui et tout ce qui a été proposé pour pallier aux failles et aux dysfonctionnements de l’administration marocaine n’est pas nouveau. Ce qui suscite une grande question, que fera le gouvernement pour appliquer ces mesures ?»
Le professeur universitaire pointe du doigt un autre aspect absent de la déclaration du gouvernement : «celui relatif à la corrélation entre responsabilité et reddition des comptes», nous dit-il. Il affirme que «jusqu’à maintenant, il n’y a pas d’actions ou de mesures du gouvernement pour veiller à cette reddition des comptes». Il considère aussi que «c’est bien de tenir l’opinion publique informée sur les actions, mais [qu’] il faut les concrétiser». Et Mohamed Zineddine de conclure : «Il y a deux indicateurs : le temps, qui n’est pas du côté du gouvernement puisque le citoyen doit sentir ce changement dans les plus bref délais, ainsi que la concrétisation. Autrement, tout comme pour les précédents gouvernements, ces mesures resteront de l’encre sur papier.»
Abderrahim Elaalam et les trois autres mesures manquantes du plan El Othmani
De son côté, Abderrahim Elaalam, professeur de sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech préfère commencer avec une piqure de rappel. «Je pense que les gens ont une mémoire de poissons comme on dit. Les discours royaux depuis 2012 se sont orientés dans une voie de diagnostic de la situation et de critiques. Or à chaque fois, le gouvernement se réunit pour annoncer qu’il réagira au discours du roi et que les remarques ont mis le doigt sur la plaie», nous déclare-t-il.
«A chaque fois on promet des mesures comme si le roi s’adressait à des élus, à des responsables ou des fonctionnaires d’un autre pays, autre que le Maroc. Le discours n’appelle pas à des orientations en politique ou en économie. Il est venu pour critiquer les responsables de la mise en œuvre des projets.»
Pour lui, «le problème ne réside pas dans les projets, mais plutôt dans les dysfonctionnements et la corruption, au point que le roi a estimé que certains ont trahit la confiance et le serment prononcé devant lui».
Quant aux mesures annoncées par le cabinet El Othmani, le professeur de sciences politiques à l’Université Cadi Ayyad préfère évoquer trois autres mesures qui ne figurent pas dans la déclaration du gouvernement. «Pour ce qui est de mesures politiques, la seule à mon avis qui doit émaner du gouvernement, s’il souhaite appliquer le discours royal, est une série de limogeages, au sein même du gouvernement, de walis, de gouverneurs et de responsables», nous déclare-t-il. Pour ce qui est juridique, Abderrahim Elaalam rappelle qu’«il y a plusieurs rapports de la Cour des comptes, plusieurs plaintes déposées par des citoyens et plusieurs jugements qui doivent être appliqués par l’Etat». Enfin, il estime aussi que «ceux qui en sont responsables, ceux qui ont trahis la confiance et le serment et ont entravé des projets pour leurs intérêts personnels doivent être présentés devant la justice».
«Autrement, toutes ces annonces resteront seulement destinées à la consommation médiatique pour dépasser cette période et reprendre par la suite ses anciennes habitudes avant qu’un autre discours intervient la prochaine fête du Trône», conclut-il.