L’épais drap de particules poussiéreuses dans lequel Casablanca est enveloppée trahit sans conteste les activités industrielles et humaines du poumon économique du Maroc. L’air y est noirci à coups de particules en suspension (notées «PM» en anglais pour «Particulate matter»), ces fines particules solides ou liquides, portées par l’eau ou par l’air. «Pour faire simple, les particules fines, c’est de la poussière», résume l’Association nationale pour la préservation et l’amélioration de la qualité de l’air (Respire), spécialisée dans l’étude des enjeux liés à la pollution de l’air en France et en Europe.
Les PM10, en l’occurrence, sont des particules en suspension dans l'air d'un diamètre aérodynamique (en référence à la science qui étudie les mouvements relatifs entre un corps et l’air qui l’entoure) inférieur à 10 micromètres. Elles peuvent être d’origine naturelle (érosion, volcanisme) ou anthropique (fumée, usure).
Dans le cas de la pollution de l’air, ces poussières sont souvent issues de combustions qui ne sont pas totales. Elles génèrent ce qu’on appelle des imbrûlés. «Quand on voit la fumée sortir d’une cheminée, d’un pot d’échappement ou quand on recrache de la fumée de cigarettes, c’est parce qu’il y a énormément de particules, de plus ou moins petites tailles», traduit l’association.
Mohammedia suffoque sous le dioxyde de soufre
A Casablanca, ces PM10 sont principalement cantonnées au croisement des quartiers Hay Mohammadi, Ain Sebaa et Sidi Moumen, particulièrement sollicités par les usines, d’après les cartes interactives mises à jour quotidiennement par Maroc Météo. Sur un baromètre de 1 à 10, ces particules culminent à 7, traduisant ainsi une forte concentration de ces poussières polluantes, de surcroît dans des quartiers densément peuplés. «Pour ces populations, c’est la double peine : ils sont à la fois exposés à la pollution industrielle et celle liée aux transports», soupire Saïd Sebti, président de l’association Maroc Sciences et Développement durable et professeur de chimie à l’université Hassan II de Casablanca, joint par notre rédaction.
Si aucune mesure n’a été prise pour envisager de déplacer ces usines, la délégation du ministère délégué chargé de l’Environnement à Casablanca insiste sur d’autres dispositions engagées : «Le nouveau plan d’aménagement de Casablanca n’autorise plus les industries de première catégorie à s’implanter à l’intérieur du Grand Casablanca. La première catégorie regroupe les industries qui présentent le plus d'inconvénients en termes de danger, de nuisances et d'insalubrité», précise à Yabiladi un responsable du ministère délégué à Casablanca.
«Ce plan d’aménagement interdit également toute extension des unités de première catégorie existantes. Seuls sont autorisés les travaux de modernisation et de mise à niveau environnementale et énergétique.»
A Mohammedia, autre locomotive industrielle du pays, la population ploie sous la concentration de dioxyde de soufre, extrêmement élevée. Dans certaines zones, notamment près de la Samir (même si son activité est actuellement suspendue), sa concentration plafonne à 27, dépassant de loin l’échelle de mesure élaborée par Maroc Météo qui varie de 1 à 10.
Source : Maroc Météo
L’inhalation de ce gaz incolore, dense et toxique peut provoquer de graves problèmes respiratoires. Outre les volcans, ce sont les procédés industriels et la combustion de certains charbons, pétroles et gaz naturels non désulfurés qui libèrent ce gaz dans l’atmosphère terrestre. «Particulièrement soluble dans l’eau, il est absorbé par les muqueuses des voies respiratoires supérieures, puis transporté par le sang dans tous les organes. Les ions sulfites et bisulfites formés par sa dissolution pourraient endommager les tissus cellulaires. Ceux-ci sont éliminés progressivement par la voie urinaire, après avoir été oxydés en sulfate», lit-on dans un article du Figaro.
«L’obstruction des bronches ainsi qu’une diminution momentanée ou durable du débit respiratoire sont les principaux effets d’une intoxication au dioxyde de soufre. Elles peuvent être mortelles si le dioxyde de soufre est inhalé en grande quantité. Les asthmatiques y sont particulièrement sensibles, surtout quand un effort physique s’ajoute à l’inhalation d’une quantité substantielle de soufre», poursuit le journal.
La fumée nocive des moteurs Diesel
Le centre de Casablanca, certes délaissé par les industries, sature en revanche sous le poids de la circulation rugissante et, dans une moindre mesure, ses embouteillages décousus. La carte interactive de Maroc Météo fait état d’une très forte présence de dioxyde d’azote dans les quartiers Maârif, Bourgogne, Derb Omar et La Gironde. Il s’agit d'un gaz brun-rouge toxique suffocant à l’odeur âcre et piquante caractéristique qui est émis lors des phénomènes de combustion et tout particulièrement par les moteurs Diesel (où l'excès d'air et la température élevée laissent l'oxygène et l'azote atmosphériques réagirent entre eux), écrit le magazine Sciences et Avenir.
Source : Maroc Météo
«Les oxydes d'azote, c'est-à-dire le monoxyde d'azote (NO) et le dioxyde d'azote (N02), sont des composés irritants notamment pour l'appareil respiratoire. (…) Des études épidémiologiques ont suggéré que le NO2 peut représenter un facteur de risque dans l’augmentation de la mortalité observée au cours d'épisodes de pollution. D’autres travaux ont évoqué son rôle dans le développement de maladies cardiovasculaires chroniques telles que l'insuffisance cardiaque», explique au magazine Dr Valérie Lecureur, chercheur à l’Institut de recherche en santé, environnement et travail de Rennes (Inserm). Elle pointe également du doigt les moteurs Diesel, équipés de catalyseur d’oxydation, un système transformant le NO produit par le moteur en NO2.
«Ce ne sont pas seulement les usines qui polluent, confirme Saïd Sebti. Cette pollution des particules fines, ou du dioxyde de carbone, est émise par plusieurs facteurs, notamment le transport et les moteurs Diesel. Prenez le quartier du Maârif : même s’il n’y a pas d’usine, ça reste l’un des plus pollués de Casablanca à cause de la circulation assez dense et des embouteillages. Ses ruelles sont beaucoup plus polluées que les zones industrielles, dont le niveau de population dépend aussi du vent.»
La pollution de l’air due à d’autres facteurs informels
Saïd Sebti évoque également d’autres sources polluantes : «La pollution de Casablanca est due à d’autres facteurs informels : les fours, les vendeurs de brochettes, les charbons… Tout ça provoque une fumée très cancérigène et augmente la pollution à Casablanca, d’autant que certaines personnes respirent ces fumées à longueur de journée.»
Le charbon expose en effet à des agents nocifs comme le méthane (CH4), le CO2 et l’azote, qui se substituent à l’oxygène de l’air inhalé, indique le site Connaissances des énergies. En forte concentration, ils agissent comme des gaz asphyxiants ; le sulfure d’hydrogène (H2S) est un gaz toxique présent naturellement dans le charbon, dont l’effet majeur est de provoquer des troubles neurologiques. Il paralyse le système nerveux, ce qui empêche les poumons de fonctionner.
«Il y a beaucoup de solutions, mais il faut du courage politique»
«Un autre problème se pose dans la capitale économique : il faut assainir l’air, reprend Saïd Sebti. Il n’y a pas d’espaces verts. Beaucoup de constructions sont soumises à des dérogations qui les autorisent à ne pas respecter le pourcentage d’espaces verts. Tout le monde se débrouille pour avoir ses autorisations, alors que leur octroi est censé être exceptionnel. Par conséquent, on aggrave la situation car ce sont les plantes qui absorbent le gaz carbonique et libèrent de l’oxygène.»
C’est peu dire que la santé des Casablancais en prend un sacré coup : «Même les gens qui habituellement n’ont pas d’allergies particulières sont amenés à développer des crises d’asthme à cause des micro-organismes, invisibles à l’œil nu, rejetés par les pots d’échappement et les usines», observait Abdallah Bahani, médecin allergologue. Selon plusieurs études américaines avancées par ce dernier, un patient sur deux développera une inflammation des voies respiratoires d’ici à 2050 à cause de la pollution.
En attendant, des solutions peuvent réduire l’impact de la pollution de l’air pour lustrer Casa-blanca et lui conférer à nouveau le mérite de son nom. «On pourrait au moins diminuer le nombre de véhicules au centre-ville et augmenter le transport écologique : les rues piétonnes, le tramway, les voitures électriques, hybrides», préconise Saïd Sebti. «Il y a beaucoup de solutions, mais il faut du courage politique.»
De ce côté, un responsable de la délégation du ministère délégué chargé de l’Environnement évoque l’adoption d’un «arsenal juridique en matière de lutte contre la pollution atmosphérique. Il s’agit notamment de la loi 13-03 relative à la lutte contre la pollution de l’air et ses décrets d'application, tel que le décret n°2-09-286 du 8 décembre 2009 fixant les normes de qualité de l’air et les modalités de surveillance de l’air, et le décret n° 2-09-631 du 6 juillet 2010 fixant les valeurs limites de dégagement, d’émission ou de rejet de polluants dans l’air émanant des sources de pollution fixes, et les modalités de leur contrôle».
Enfin, «le secrétariat d’Etat chargé du Développement durable est en cours d'élaboration du Plan national de lutte contre la pollution atmosphérique. Ce plan national, une fois élaboré en partenariat et concertation avec tous les partenaires concernés - les départements ministériels et le secteur privé, entre autres - sera décliné en plan d'actions concret de lutte contre la pollution atmosphérique», promet-on. En attendant, ça ne sera jamais écrit sur les paquets de cigarettes, mais respirer à Casablanca peut nuire à votre santé.