La croissance, en matière d’emploi, c’est comme le cholestérol, il y a le bon et le mauvais», lance Mohamed Chiguer, docteur d’Etat en économie. «En dépit de la croissance économique, on constate un taux de chômage encore très fort au Maroc», alerte Jamila Ayegou, enseignante en sciences économiques à l’université de Mohammedia.
Selon les statistiques du Haut commissariat au plan, le taux de chômage est passé de 11,4% en 2003 à 9,1%, en 2010, alors que, dans le même temps, le taux de croissance était en moyenne de 4,58% (selon le CIA World Factbook), soit un chiffre qu’envieraient bien des pays européens. Un paradoxe apparent qui trouve son explication, notamment, dans la structure de l’économie.
«L’économie marocaine est fondée en majeure partie sur les secteurs du bâtiment, de l’agriculture et des services, or ce sont des secteurs sensibles à la péculation et donc très volatiles», explique Mohamed Chiguer. Au Maroc, la croissance économique dépend beaucoup de la qualité des saisons agricoles. Les énormes variations du taux de croissance économique d’une année à l’autre (voir graphique) dépendent du temps et des spéculations et non de l’investissement en capital humain. En 2006, par example, la croissance du PIB avait été de 1,70% contre 9,30% l’année suivante. «Il faut prier pour qu’il pleuve, c’est le bon dieu qui fait la croissance», ironise Mohamed Chiguer.
Si, aujourd’hui, l’économie dépend encore autant de l’agriculture, c’est qu’il n’y a pas eu de politique d’industrialisation efficace. «Les réflexions menées après l’indépendance devaient mener à une véritable politique industrielle. Son encadrement a été mal adapté : le gouvernement a adopté une planification indicative plutôt qu’impérative» explique Mme Ayegou. Aujourd’hui, «près de 95% des entreprises sont des PME», déplore Mohamed Chiguer.
Le docteur d’Etat en économie fait le même constat que Najib Akesbi, économiste et enseignant à Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, à Rabat : l’Etat a décidé d’ouvrir le pays au libre échange sans que son industrie naissante y soit préparée. «Depuis 30 ans, les gouvernements ont fait la promotion des exportations en signant des accords de libre échange avec près de 50 pays. Pour en bénéficier il faut avoir une offre exportable, alors que le Maroc n’a rien à exporter» explique Najib Akesbi. L’industrie textile marocaine s’est ainsi retrouvée fortement concurrencée. «La mise à niveau forcée des entreprises a entraîné de nombreux licenciements», ajoute Jamila Ayegou.
Mohamed Chiguer explique aussi le phénomène de croissance à faible intensité en emploi par le fait que «les derniers enfants issus de la transition émographique au Maroc arrivent actuellement sur la marché du travail». Leur nombre est tel que l’économie n’est pas en mesure de l’absorber entièrement. «L’économie marocaine devrait créer entre 300 et 350 000 emplois par an pour simplement éviter que le nombre de personnes au chômage n’augmente, explique Najib Akesbi, alors qu’elle parvient péniblement à créer 100 000 emplois par an.»
Cet aricle a été précedemment publié dans Yabiladi Mag n° 6