Wikileaks a révélé ce mardi un document secret du département américain de la Défense, répertoriant une dizaine de mosquées et centres islamiques suspectés de liens avec le terrorisme international. Selon la note, des «membres bien connus» d’Al-Qaeda auraient été recrutés, et entrainés dans ces lieux.
La liste (page 9 du document) comprend : L’Université internationale Abu Bakr de Karachi (Pakistan), la mosquée Al Khayr de Sanaa (Yémen), la Mosquée Al Sunna du Québec (Canada), l’Institut Dimaj de Sadaa (Yémen), les mosquées de Finsbury Park et Bakers Street (Royaume-Uni), la Grande Mosquée de Lyon (France), la mosquée de l’Institut de la culture Islamique de Milan (Italie), la Mosquée Makki de Karachi (Pakistan) et la mosquée Wazir Abkhan Khan de Kaboul (Afghanistan).
La Grande Mosquée de Lyon en bouc émissaire?
En France, la présence de la Grande Mosquée de Lyon sur la liste dressée par le département américain de la défense a énormément surpris. Kamel Kabtane, recteur de la mosquée a dénoncé des «accusations infondées et indignes», dans un entretien publié sur le site du quotidien français 20 Minutes. «On nous accuse d’être un lieu d’agitation lié à Al Qaida, alors que nous nous efforçons de diffuser des messages de paix», a-t-il poursuivi.
Les responsables de la Mosquée ne sont d'ailleurs pas les seuls surpris. Jean-François Carenco, préfet du Rhône, a formellement démenti tout lien entre la Grande Mosquée de Lyon et le terrorisme international. Mercredi dernier, dans un communiqué, il a parlé de «rumeurs», et déclaré que «dans tous les cas de figure, la Grande Mosquée de Lyon ne saurait être considérée comme liée à une entreprise terroriste .»
Il y a en effet de quoi être surpris, car comme le révèle le site Rue89, la Grande Mosquée de Lyon ne s'est jamais distinguée par des affinités avec les milieux de l’islam intégriste en France. Son recteur a d’ailleurs déclaré, sur un ton ironique : ««Comment se fait-il que les Américains soient plus forts que la police française qui n'est jamais intervenue chez nous ?»
Il s’avère par ailleurs, toujours selon Rue89, qu’aucun des pensionnaires de Guantanamo arrêté pour des liens avec Al-Qaeda, n’était un des fidèles de la mosquée lyonnaise. Ils sont trois au total, comme le rapporte le magazine Lyon Capitale sur son site. Nabil Hadjarab, Nizar Sassi et Mourad Benchellali, sont les seuls terroristes présumés, originaires de Lyon. Aucun d’eux ne fréquentait cependant la grande mosquée.
Le recteur a d’ailleurs lui-même reconnu que Lyon a été identifiée il y a quelques années comme une base de l'islam radical, rapporte encore Rue89. Le site précise toutefois que la tendance s’est surtout développée dans les mosquées des périphéries telles que Vénissieux, La Duchère, Bron, Saint-Fons.
Les experts du Pentagone auraient-ils donc fait de la Grande Mosquée de Lyon l’avatar des circuits intégristes des banlieues lyonnaises ? C’est en tout cas ce que semble penser Kamel Kebtane, qui déclare à 20 Minutes : «C’est la plus en vue (la Grande Mosquée de Lyon, ndlr). C'est celle qui s’active beaucoup pour le dialogue interreligieux. Elle doit être trop présente dans l’opinion et la vie de la cité (…) Nous payons les pots cassés.»
La conclusion du recteur ne semble pas dénuée de sens, en considérant l’histoire de la mosquée et celle des terroristes présumés, originaires de Lyon. Novopress, site d'information d'extrême droite, semble pourtant avoir trouvé ce qui pourrait justifier la présence de la Grande Mosquée de Lyon dans le collimateur du Pentagone. Le recteur aurait en effet reconnu avoir invité l’imam Abdelkader Bouziane, accusé d’avoir implanté et développé le salafisme en région lyonnaise. Kamel Kebtane aurait fait appel à lui «deux ou trois fois» pour animer des conférences à la Grande Mosquée de Lyon.
Abdelkader Bouziane y aurait également assuré le prêche un vendredi, «pour dépanner». Même si Abdelkader Bouziane a été imam des mosquées de Villefranche-sur-Saône, de la Duchère (Lyon) et de Vénissieux, suspectées proches des milieux salafistes, il faut se demander si sa présence à des occasions ponctuelles à la Grande Mosquée de Lyon fait automatiquement de celle-ci une arrière-garde d'Al-Qaeda, por le recrutement de futurs terroristes.
Kamel Kebtane lui-même reconnait que Bouziane «est resté dans les normes, les gens étaient contents, se souvient-il. Il connaît très bien le Coran et il a son public, qui se déplace pour l’écouter. Son discours, c’est le retour à la tradition du Prophète, mais je ne l’ai jamais entendu prôner la violence.»
Un pas de plus vers la stigmatisation de l’islam en France ?
On ne peut s’empêcher d’y penser, à un moment où l’islam semble de plus en plus stigmatisé en France, et où le débat sur la laïcité est de plus en plus perçu comme un discours dirigé contre l’islam. Le préfet du Rhône a lui-même reconnu que «si cette rumeur devait participer à un amalgame entre une religion ayant toute sa place dans la République et des terroristes reconnus et poursuivis comme tel, elle serait en tous points condamnable.»
Kamel Kebtane, de son côté, n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler que: «cette agitation m’inquiète, à un moment où la communauté musulmane est stigmatisée et où l’on veut montrer à tout prix la partie la plus radicale de l’islam.»
Le recteur de la Grande Mosquée de Lyon, indigné par les informations révélées par Wikileaks, recevait ce jeudi, le consul américain Mark Shapiro, espérant obtenir de lui une rétractation officielle et des excuses pour l’offense causée à la mosquée à ses dirigeants, et à ses fidèles. Au terme de l’entrevue, le diplomate américain n’a émis aucun avis sur la liste, qu’il dit n’avoir pas consultée. Il a par ailleurs assuré qu’il entendait maintenir de bons rapports avec la mosquée.
Pour le recteur, il sera plus difficile d’oublier l’affront subi. Kamel Kebtane envisagerait de poursuivre les auteurs de cette note : le Pentagone lui-même…
Le reportage de France 24 sur les dernières révélatios de Wikileaks