Vous avez vécu dans le sud marocain, quel est le patrimoine musical de cette région ?
Pendant les deux années que j’ai passé chez les Aït Ba’amran et plus largement dans le Souss, j’ai eu l’occasion d’être spectateur de quelques performances musicales. La plupart d’entre elles se déroulaient lors de rituels comme les mariages, l’achoura, les «ma’arouf» et «nzaht n tlba» (tournée des tlba). La musique rythme donc la vie rituelle des Marocains du Sud.
Comment ces rituels sont-ils célébrés ?
Lors des mariages, il s’agit aujourd’hui plutôt d’un groupe professionnel soit de «harwaj», danse musicale amazigh, soit de musique hassanie, étant donné que la région des Aït Ba’amran est à cheval sur deux aires culturelles.
L’achoura est le jour du chant des femmes, rythmé par les claquements de mains, autour de feux de joie allumés à la sortie des douars. C’est aussi le moment où de jeunes hommes célibataires imitent les chants des femmes en forçant leur voix vers les aigus afin de dissimuler leur masculinité et s’approcher au plus près des femmes.
Les «ma’arouf», sorte de pique-nique rituel est l’occasion pour les femmes de chanter sous forme de joutes musicales improvisées entre jeunes célibataires et femmes mariées. La tournée des «tlba», des confréries religieuses où des hommes se déplacent de douars en douars, leurs donnent l’opportunité de réaliser un «harwaj», une danse alignée qui se pratique en tapant des pieds et des mains au rythme des tambours.
La musique hassanie est la plus répandue dans le sud, quelles sont ses origines ?
La musique hassanie est la musique dominante depuis Guelmim jusqu’au Sud. La référence en termes musicaux c’est la Mauritanie, avec ses stars connues depuis plusieurs décennies, y compris en Europe, comme Malouma. Là encore, il s’agit d’une musique de mariage, le plus souvent sous la forme de groupes menés par de véritables «divas du désert».
Quels sont les instruments utilisés pour accompagner les chants ?
L’instrument mélodique principal est la guitare électrique avec un son légèrement distordu et avec les aigus au maximum. Les mélodies sont syncopées. C’est un genre unique qui s’inspire du blues en l’adaptant aux rythmes locaux. Les rythmes sont donnés par des «Guedra», grandes calebasses sur lesquelles on tend une peau de chèvre. Toutefois, il peut y avoir aussi un batteur dans les mariages modernes.
La «Guedra» désigne aussi une danse de femme célibataire. Elle est pratiquée devant un groupe d’hommes qui marquent les mouvements de la danseuse par des cris rythmés. Le plus souvent la danseuse est à genoux et les hommes qui l’entourent sont debout et balancent leur corps en bombant le torse.
Ce qui est intéressant à noter, c’est que dans la région de Guelmim, la région réputée pour les meilleures Guedras est justement «Tigli», un douar berbérophone ! Ce qui montre encore le fort métissage entre culture sahraouie et amazighe.
Y a-t-il d’autres musiques qui sont restées méconnues ou inexploitées ?
C’est tout à fait possible. En tous cas, le sud du Maroc regorge de talents qui ne demandent qu’à percer ! La naissance des festivals du désert (Dakhla, M’Hamid...) est une très bonne chose pour pouvoir donner une chance à ses jeunes talents. Dommage que cette année celui de Dakhla ait été annulé.
Cet entretien a été publié dans Yabiladi Mag numéro 5 (mars 2011).