Les Irakiens ne sont pas des migrants comme les autres. Persona non grata aux Etats-Unis depuis le décrêt anti-immigration de Donald Trump visant les natifs de sept pays musulmans (Irak, Iran, la Syrie, Soudan, Libye, Yémen, Somalie), ils doivent également faire face à certaines difficultés dans les pays arabes. Le Maroc bien qu'il soit très loin du Moyen-Orient accueille un certain nombre d'immigrés irakiens depuis la guerre du Golfe. Ces dernières années, le royaume a vu l'afflux d'une bonne centaine de réfugiés ayant fuit l'Irak. Pourtant, ces familles n'ont toujours pas le statut de réfugiés. Une situation de flou administratif qui aggrave leurs difficultés financières. Malgré des conditions de vie parfois délicate, ils continuent de garder espoir.
Maryam, femme de 49 ans est arrivée au royaume en 2000. Ce n’est qu’en 2006 qu’elle et son mari, ainsi que leurs cinq filles demandent le statut de réfugiés au Haut commissariat des Nations Unies (UNHCR). «Nous sommes venus en bateau, nous sommes passés par plusieurs pays avant d’arriver à destination», raconte-t-elle. «Nous avons fui la guerre, nous recherchions la sécurité nous nous retrouvons dans une situation de précarité invivable depuis quelques années», confie Maryam, émue.
Son mari, Mehdi* artiste peintre de profession, a un regard empreint de douleurs du passé : «En Irak, je suis recherché pour être tué. Si je remet un pied là-bas, je suis foutu», dit-il la voix émue. «J’ai fait la guerre, mais à un moment je me suis rendu compte que ma famille a besoin d’être dans un environnement sain. Je ne voulais pas m’inquiéter pour mes filles, qu’elles soient kidnappées, violées ou qu’elles meurent d’un bombardement». Le père de famille est au chômage depuis deux ans, et ne vit que des aides du HCR. Pour lui, chaque dirham compte. «Chacune des filles a 300 dirhams par mois pour ses études, ce n’est pas du tout suffisant», se plaint la mère de famille, «quelques fois, elles sont obligées de marcher à pied de la maison à leur faculté», soit trois kilomètres.
Destruction de la statue de Saddam Hussein suite au renversement du régime par l'armée américaine
L’une des filles de Maryam, Leila*, 23 ans raconte : «Quelques fois, j'y vais, mais souvent je préfère rester à la maison, puisque nous n’avons pas d’argent. Je préfère donner l’argent de la bourse à mes parents». Pourtant l’ambition est là, les filles sont toutes armées d’une volonté d’aller loin dans leurs études, elles savent que c’est leur bouée de sauvetage pour se sortir de la situation difficile à laquelle elles font face au quotidien.
Des études compliquées, mais une ambition à toute épreuve
Trois des filles de Maryam suivent des études supérieures, l’une étudie la géologie, l’autre le droit en arabe, une autre la littérature anglaise. Elles ont toutes les mêmes traits, une silhouette filiforme, et s’expriment dans une darija parfaite. «Nous avons vécu plus de la moitié de notre vie ici au Maroc. Pourtant nous trouvons beaucoup de difficultés à nous adapter au système d’études», raconte l’ainée Nour*, âgée de 26 ans, étudiante en troisième année de géologie. «J’ai dû refaire beaucoup d’années après le bac, puisque mon français est très mauvais» ajoute-t-elle.
Les jeunes filles ont suivi leurs études de collège et lycée à l’école irakienne, puis à la fermeture de cette dernière, ont continué leur cursus à l’école libyenne. «Tout au long de mes études, j’ai étudié qu’en anglais et en arabe, et le fait de changer souvent d’école n’aide pas à avoir de bonnes bases en français», confie Leila*, 21 ans, étudiante en deuxième année de droit. «Je pense à suspendre mes études momentanément pour permettre à mes sœurs de pouvoir finir leurs études», avoue-t-elle.
Maryam, la mère de famille, très proche de ses filles, a les larmes aux yeux quand elle raconte les difficultés quotidiennes : «Quelques fois, nous n’avons pas de quoi manger, je veux juste nourrir mes filles, leur acheter des vêtements, mais je ne peux pas, vous n’imaginez pas comment c’est dur pour une mère de voir ses enfants souffrir». Sa voix se brise, elle se reprend pour ajouter : «Ma fille ainée me dit parfois, je souhaite dormir et ne plus me réveiller. A quoi ça sert de vivre dans une réalité aussi difficile». Elle éclate alors en sanglots.
Vivre dans une île déserte
La famille nombreuse est très soudée, les uns veillent sur les autres. Le père est un pilier de cette famille, sa voix est forte et porte loin. «J’ai dit à mes filles dernièrement, ne tombez pas malades, je n’ai pas les moyens de vous acheter des médicaments, ni de vous emmener chez le médecin. Si je dois le faire, je dois louer un minibus pour toutes les emmener faire des analyses», dit-il. «Je ne veux pas mendier dans la rue, j’ai trop de fierté pour ça. Maintenant, je souhaite quitter le Maroc, même s’il faut aller dans une île déserte pour vivre, je le ferai», conclut-il.
La situation de cette famille est critique. Sarah Mokadader, chargée de communication et d'information publique au sein de l'unité des relations extérieures du HCR, est très touchée par cette histoire : «Nous faisons de notre mieux pour aider ses familles à s’en sortir. A un moment, on ne se rend plus compte de l’histoire de ses gens, vu que les papiers s’amoncèlent. Mais aujourd’hui, devant eux, je sais que je ferai tout mon possible pour que leur situation se débloque».
Poésie et «ghorba»
Khaled, quant à lui est un poète irakien, cigarette après cigarette, il raconte son histoire comme un film. Les traits marqués, son regard se perd quelques fois quant il se remémore des souvenirs douleureux. «Je vivais bien en Irak avant la guerre, j’étais pour le régime de Saddam (Hussein, ndlr)», dit-il. Le poète est un ancien journaliste, il travaillait pour plusieurs supports de presse en Irak. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé obligé de partir du pays, puisqu’il a longtemps travaillé pour le gouvernement en place. «Il n’avait pas que de bons côtés, mais j’étais très sollicité pour mon travail», se remémore-t-il.
«Un jour, j’ai été invité par le Maroc pour présenter mes poèmes, et depuis ce jour-là. Je ne l’ai plus quitté», confie-t-il. Réfugié depuis 2006, il ne peut plus revenir en Irak, puisqu’il risque la mort. Seul, sans aucune famille, il brave le quotidien et se réfugie dans son art, la poésie. «Quelques fois, l’inspiration vient d’un coup sans prévenir. Une fois, j’étais à Fès, je devais écrire un poème sur la ville. Je l’ai fait à 5h du matin. Je me baladais dans la ville pour m’en imprégner. J’ai présenté mes vers devant Hamid Chabat (maire de Fès à l'époque) et une assemblée de personnes. J’ai reçu une standing ovation», dit-il, fièrement.
Aujourd’hui, il tente de joindre les deux bouts, a essayé de travailler pour des supports de presse arabophones en free-lance. Quelques-uns de ces recueils de poèmes sont sortis en livres. Un artiste dans l’âme, qui a laissé ses rêves aux frontières. Avant de se quitter, il nous a écrit ces quelques vers qui résument son état d’esprit.
*Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat et la sécurité des réfugiés.