La position des Etats-Unis dans le conflit du Sahara occidental opposant le Maroc et l’Algérie figure depuis longtemps parmi les préoccupations du pays de l’Oncle Sam. Il y a quelques jours, l’Agence centrale d’intelligence (CIA) a déclassifié plusieurs dossiers sur ce sujet.
D’abord, un document évoque les tout premiers contacts diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie, datant du 19 octobre 1978, lors desquels les services de la CIA rapportent que le conflit entrait alors dans une phase «politique». «Les émissaires du Maroc et de l’Algérie se sont rencontrés à Paris en août et à Bruxelles en septembre. La Mauritanie a elle aussi établi des contacts avec l’Algérie et les rebelles du Front Polisario mais ces contacts, bien qu’ils donnent un signe d’espoir que le dialogue continuera, peuvent être marqués par des ruptures dramatiques», indique ce premier document. Il fait référence notamment à une «agression» commise au sud du Maroc par des soldats algériens, ainsi qu’à la maladie du président Houari Boumediene, lequel a suspendu les pourparlers.
Le «mécontentement grandissant de l’Algérie» vis-à-vis du soutien américain au Maroc
Le même document rappelle l’avis de la Cour de Justice datant d’octobre 1975. Cette juridiction avait en effet estimé «que les liens marocains et mauritaniens précoloniaux avec cette région n’ont pas démontré leur souveraineté sur le Sahara occidental». «L’Algérie a considéré le partage (de souveraineté entre le Maroc et la Mauritanie, ndlr) illégal, demande un référendum d’autodétermination et soutient financièrement et matériellement le Front Polisario», poursuit la même source.
Et ce document - public désormais - de conclure que trois ans d’endoctrinement «algérien» et «polisarien» ont «probablement» créé une sorte d’identité nationale dans les camps qu’il serait «difficile de satisfaire dans le futur».
Le conflit autour du Sahara occidental est aussi cité dans un autre document sur les relations qu’entretiennent les Etats-Unis et l’Algérie. Datant de juillet 1983, celui-ci aborde les perspectives politiques divergentes entre les deux pays, parmi lesquelles celles du Maroc. «Alger avait exprimé son mécontentement grandissant quant à ce qui est perçu comme une coopération militaire excessive entre le Maroc et les Etats-Unis. Le conflit du Sahara occidental est probablement la question la plus litigieuse entre Alger et Washington», notent les rédacteurs du rapport. Quand ils écrivaient qu’ils ne croyaient pas qu’«un règlement du différend [est] en cours», ces derniers n’imaginaient probablement pas que le conflit perdurerait encore de nos jours.
Prôner l’option de «fédération» au Sahara occidental
Un autre rapport, datant de 1976, revient quant à lui sur l’extension par le Maroc de son mur de sable sur «le sol mauritanien» et ses répercussions sur la guerre entre le Maroc et le Front Polisario. L’analyste américain, auteur de l’étude, prédit que cette extension devra pousser les séparatistes à utiliser le territoire mauritanien.
Trois ans plus tard, les analystes de la CIA se pencheront sur les scénarios d’une solution diplomatique de ce conflit entre le royaume et le Polisario, «soutenu par l’Algérie». Dans ce document daté du 18 mars 1987, les auteurs concluent enfin qu’après 11 ans d’affrontements armés, «le conflit semble n’avoir aucune issue». «Bien que les deux parties (le Maroc et l’Algérie, ndlr) veulent empêcher un vaste conflit, leur compétition pour une prééminence au Maghreb pose des dangers potentiels pour les Etats-Unis», préviennent les auteurs qui, déjà, prônent dans leur document l’option de «fédération» pour le Sahara occidental.
«La solution diplomatique la plus convenable pourra être basée sur le concept d’une fédération, incluant la souveraineté de Hassan II sur le territoire contre un degré d’autonomie pour le Polisario. Ce type de compromis pourra permettre à l’Algérie de sortir de ce conflit sans pour autant concéder la défaite.»
Feu le roi Hassan II en compagnie du président algérien Houari Boumediene. / DR
Hassan II, un roi «imprévisible» ?
Les relations des Russes dans le conflit du Sahara occidental sont également passées au crible. En effet, selon les Américains, bien que «l’intérêt des Soviets dans ce conflit soient limités», ces derniers «croient avoir un espoir d’affaiblir le lien fort entre le Maroc et les Etats-Unis». Le rapport précise que Moscou avait sanctionné l’Algérie concernant les transferts d’armes aux séparatistes du Polisario pour «ne pas compromettre ses relations avec Rabat en supportant publiquement le Polisario». Le document dresse également plusieurs scénarios, notamment une intervention des Etats-Unis, avant d’en prédire l’échec.
«Un règlement pourrait améliorer la position des Etats-Unis au Maghreb, principalement parce qu'il renforcerait le Maroc, l'ami le plus proche de Washington dans la région. Néanmoins, il pourrait encourager le roi Hassan II à prendre des mesures - telles que ses initiatives unilatérales dans le processus de paix israélo-arabe - qui pourraient compliquer d'autres intérêts américains dans la région. Le roi peut faire pression sur les États-Unis pour fournir une aide financière et militaire accrue en échange de sa volonté de soutenir les intérêts stratégiques des États-Unis, mais il n'aura probablement pas affaibli ses liens avec les États-Unis.»
Ce document s’attarde ensuite sur les descriptions de la région, sa population et sa géologie avant d’évoquer l’improbabilité de l’indépendance du Sahara occidental, citant le manque de ressources, la faible démographie et, surtout, «la vulnérabilité future de cette région» et l’éventualité d’une intervention marocaine ou algérienne pour contrôler le territoire.
«Nous estimons que l’Algerie considèrerait Washington comme un contributeur au succès du Maroc dans le Sahara occidental (…) Par conséquent, Alger pourra réduire ses liens avec Washington, au moins de façon temporaire. Toutefois, si l'Algérie perçoit que les Etats-Unis ont extrait des concessions du Maroc, ses liens avec les Etats-Unis se stabiliseraient et s'amélioreraient», conclut le document.